Extrait tiré du T.U 3ème trimestre 2005

La vie à l’école. Samedi 2 juillet3è trimestre 2005

« Jour J pour les promus 2006 »

 

C’est une animation plus grande qu’à l’accoutumée qui régnait ce samedi 2 juillet, début d’après-midi, dans la galerie de notre Alma Mater.

Il faisait beau, il faisait chaud… le mercure oscillait autour des 30 degrés et ce premier soleil généreux d’été semblait vouloir s’associer à la joie des promus 2006 pour cet événement qui fera sans doute date dans les annales de leur mémoire : la remise des diplômes.

Parents, amis, petit ami ou petite copine avaient également voulu partager ces moments d’intense émotion et de joie profonde qui marquent la fin d’un parcours scolaire . . . un parcours parfois considéré par certains comme celui du combattant ou comme un terrain miné… avec des mines variables qui ont pour nom réformes, matières, stages, évaluations, TFE… et sans doute aussi parfois profs!!!

Vers 14 heures, les portes de l’Auditorium Ernest Carlier s’ouvrirent et rapidement tous les sièges furent occupés… prouvant ainsi qu’un tel événement avait toujours la cote de nos jours.

Signalons que « notre Ecole Normale » est l’une des rares Hautes Ecoles à encore organiser une remise officielle des diplômes.

Face au public, Monsieur Denis Dufrane, le coordinateur, par quelques mots d’accueil et en soulignant le contraste saisissant entre l’ambiance festive du moment et celle habituellement plus austère qui plane dans cet espace de formation et de diffusion des savoirs, donna immédiatement le ton de la séance : joie, convivialité, sympathie seraient au menu du jour.

Sous la présidence de Monsieur Guy Hattiez, Directeur de catégorie, de Monsieur Maurice Lapotre, ancien Directeur-Président de la Haute Ecole, d’une délégation de l’Amicale des Anciens, la proclamation, tant attendue, commença…une proclamation agrémentée d’un intermède musical présenté par un quatuor de professeurs au mieux de leur forme

Enthousiasme, cohésion, justesse, sens du rythme, choix judicieux du répertoire tous les ingrédients étaient réunis pour charmer l’assemblée, ravie d’une telle initiative et qui marqua sa Satisfaction par de longs moments d’applaudissements.

Du grand art offert par Mesdames Quertinmont, Lacroix, Messieurs Tercellin et Liénard.

Vinrent ensuite les discours des Majors de Promotion (nous vous les livrons in extenso ci- dessous), le mot du secrétaire de l’amicale, la remise des prix spéciaux.

Prix du « Mérite » offert par la Haute Ecole et attribué à

– En section Éducateur : Mme Annelise TASSIGNON

– En section Instituteur : M Kevin STEL

– En section AESI : Mme Dorothée HUART

Extrait tiré du T.U. 1995 – 1996

TU 95-96UN REGARD SUR LE PASSÉ DE NOTRE ECOLE NORMALE…

Extraits du discours prononcé par Monsieur le Directeur, Maurice Lapôtre, lors de l’assemblée générale de ’95

En 1866, une loi décide de la création de deux nouvelles Ecoles normales (en plus de celles de Lierre et de Nivelles).

Soucieuse de progrès, la ville de Mons se montre d’emblée désireuse d’accueillir l’une de ces écoles (la wallonne). Mais l’Etat prétend lui laisser tous les frais… En définitive, la ville donnera le terrain et l’Etat acceptera de faire le reste.

Ainsi commence l’aventure de notre Ecole normale.

Avant tout, c’est évident, il s’agit de construire les locaux. Et l’on va bien faire les choses.

La tâche n’est pas confiée à n’importe qui : Joseph HUBERT a déjà construit, à Mons, le Tir communal et l’Hôpital civil (en même temps que l’École normale, il réalisera la “Machine à eau”, édifice futuriste, tout de fer et de verre); il est aussi, depuis 1868, le créateur du centre vital – hôtel de ville, église, écoles – de la nouvelle agglomération de La Louvière.

C’est un maître, un personnage quasi officiel et aussi un professionnel scrupuleux : avant de dessiner l’École normale, et alors même que le gouvernement lui a fourni un cahier des charges précis, inspiré des meilleurs exemples étrangers, J. HUBERT tiendra à mener ses propres recherches et visitera, notamment, des centres scolaires en Allemagne et aux Etats-Unis (New-York et Illinois).

Mais cela en valait la peine. Sans nul doute, le résultat se montre à la hauteur des espérances.

Les trois coups seront frappés, le 9 novembre 1876, par l’Abbé Lecomte, en présence des professeurs, des élèves récemment admis et de leurs familles, mais sans le Ministre: il avait renoncé au déplacement par crainte des réactions des milieux libéraux, outrés de la désignation d‘un ecclésiastique à la tête d’une importante école de l’Etat.

Mais venons-en aux personnages.

Qui étaient-ils donc, ces normaliens des premiers temps ?

Si nous disposons des listes de diplômés, nous n’avons quasi aucune indication directe sur la vie, les origines, les aspirations de ces adolescents.

Ils devaient sans doute correspondre au portrait du normalien-type de l’époque, bien connu des historiens de l’Education : un enfant de famille modeste (petits agriculteurs, artisans) dont l’intelligence avait été reconnue par le maître d’école, le maire…voire le curé, et dont la famille considérait l’accession à la fonction d’instituteur comme une remarquable promotion sociale.

Mais nous n’en sommes pas encore au diplôme. Il faut d’abord répondre aux conditions d’inscription.

1912 – “Ecoles normales primaires d’instituteurs et d institutrices. Pour être admis à suivre les cours d’une école normale de l’Etat, il faut :

  1. avoir atteint l’âge de 15 ans au 31 décembre de l’année où l ‘entrée à l ‘Ecole normale doit avoir lieu et ne pas avoir dépassé l’âge de 22 ans à la même date : aucune dispense d’âge ne peut être accordée ;
  2. être d’une conduite irréprochable ;
  3. avoir été vacciné ou avoir eu la variole;
  4. avoir une bonne constitution;
  5. n’être atteint d’aucune infirmité de nature à affaiblir l’autorité que doit avoir l’instituteur sur ses élèves ;
  6. avoir pris valablement l’engagement de se tenir à la disposition du Gouvernement pendant trois ans à partir de sa sortie de l’Ecole normale, pour exercer des fonctions dans l’enseignement public. Si le postulat est mineur, il devra produire, en outre, une déclaration de son père ou de son tuteur, qui l’autorise à prendre cet engagement ;
  7. justifier de la qualité de Belge.

Il faut ensuite réussir l’examen d’admission : deux épreuves (une orale, une écrite) portant sur les matières de l’école primaire : doctrine chrétienne et histoire sainte (25 points), lecture écrite, grammaire française et orthographe usuelle (55 points), opérations fondamentales de l’arithmétique sur les nombres entiers et sur les fractions, applications raisonnées de ces opérations, système légal des poids et mesures (30 points), connaissance élémentaire du flamand (30 points), éléments de géographie générale, géographie particulière de la Belgique (10 points), faits principaux de l’histoire nationale (10 points), notions de musique vocale (5 points). Epreuve assez redoutable : nous avons conservé les chiffres de 1877 : 41 réussites sur 62 à Mons, et seulement 52 sur 120 à Nivelles, par exemple.

Le candidat admis pourra alors profiter pleinement de la vie en internat (obligatoire Jusqu’à une date avancée, sauf pour les habitants du centre-ville); une vie très recluse puisque, à quelques rares sorties près, on passe à l’école trois mois d’affilée…

Malgré le soin apporté à la construction et à l’aménagement (moderne pour l’époque, comme nous l’avons vu), l’existence ne sera pas donc facile pour ces jeunes déracinés, tout juste sortis de leur lointain village (lointain, en temps de déplacement, au moins… et aussi par le total dépaysement que ce déplacement provoque).

Ecoutez comment, en juin 1991, Pierre NISOLLE, s’adressant aux lauréats du jour, décrit l’expérience déchirante vécue par son père en 1923. (C’est aussi, nous le savons, l’histoire de bien d’autres avant et après lui.)

« Il marche vers une nouvelle vie qui lui fait peur, vers des études pour lesquelles il ne se sent guère de vocation. Simplement, ses professeurs ont estimé que…Ils en ont parlé à ses parents… On ne lui a pas trop demandé son avis. Il marche. Derrière lui, au creux de la vallée, son village s’est assoupi…

Lui, il marche vers la gare. Il a la prescience d’une page tournée… Page tournée sur l’atelier paternel. Sur la grande table de bois blanc où son père, assis à la fenêtre ouverte, assemble, à l’aiguille, le velours brun des bourgeons ou le drap bleu des redingotes.

Page tournée sur la ferme de sa grand-mère, sur les bœufs blancs de l’Oncle Louis, sur les hérons de la Honnelle qu‘il épiait au bord du soir, l’été, à la traite. Page tournée sur les Iabours, sur les gerbiers, sur l’odeur du fenil et les fruits du verger…

Il Convient désormais de se préparer à d’autres semailles et d’espérer d’autres provendes. Alors, il marche. [… ]

La première impression de l’école dont il se souvienne, est une impression d’enfermement. Rien que des murs et des grilles, ou son regard bute et se déchire. Son regard d’enfant libre, parcoureur de grands espaces. […]

Dans le dortoir de l’internat où il est en train de ranger son trousseau, il s’assied soudain sur le lit. L’angoisse lui serre la gorge et affole sa respiration. Il voudrait fuir ! »

Hormis le règlement général signé en 1882 par le Ministre Van Humbeek, nous ne disposons plus de description officielle du fonctionnement de l’école (et notamment de l’internat) mais quelques témoignages isolés ont été conservés (ou, parfois, livrés tardivement par des Anciens).

Pas d’admission à l’E.N. sans trousseau (un trousseau « normalisé », évidemment) :

-“Ecoles normales d ‘instituteurs : 6 chemises de toile ou de coton, 3 chemises de nuit, 6 paires de chaussettes ou de bas, 8 mouchoirs de poche, dont 4 blancs, 2 paires de bottes ou de bottines en cuir, 1 paire de pantoufles, 1 redingote de drap noir, 1 pardessus d’hiver d’étoffe, noire ou foncée, 1 pantalon de drap noir, 1 gilet de drap noir, 2 pantalons ordinaires, 1 gilet ordinaire, 1 jaquette ou veston ordinaire, 1 chapeau de feutre noir, d’après le modèle adopté à l’établissement, 1 paire de gants d’hiver, 1 paire de gants d’été, 1 sac pour le linge porté, 1 parapluie noir ou brun, 4 serviettes et un rond, 6 essuie-mains, 1 boîte à savon, 1 miroir, peignes, brosses, brosse à dents.

On notera par parenthèse que l’uniforme n’est pas resté strictement obligatoire très longtemps (sauf pour les cérémonies).

Ainsi, parlant de l’année 1925, P. Ruelle note : « Je revois tel de mes compagnons dans un étonnant costume de velours jaunâtre avec une ceinture de même étoffe et une lavallière. Un autre – je le vois encore – porta tout le temps des guêtres mastic. C ‘était la mode. Et tous, nous portions le feutre noir : çà, c’était le règlement. » ( à suivre)

Extrait tiré du T.U. 1977

IMG_0015UN CENTENAIRE QUI SE TERMINE

SUR UN AIR DE PRINTEMPS.

Le 22 décembre, les Jours commencent à s’allonger. Le solstice a eu lieu. Voilà l’Ecole Normale repartie pour cent ans.

Ce fut une belle fête, sans côté ampoulé.

Autour du Président des Anciens, notre fin, direct et délicieux Jean Burrion, avaient pris place le maïeur de Mons (Abel Dubois est sorti de notre Maison et l’honore), M.Mathieu (qui représentait le corps professoral) et Madame Françoise Balenghien, une toute jeune institutrice, major de la promotion Léon Gilmant – celle du Centenaire.

Il y avait aussi Marion Coulon, bien sûr, tel qu’en lui-même la retraite le change, et qui – juvénile et périlleux – n’en finit pas de régler ses comptes d’adolescent.

Une jouvence.

Tous dirent ce qu’il fallait. C’était fait de souvenirs doux-amers; plus de cigüe que d’ambroisie. Peut-être omit-on de parler de ceux qui ont donné et donnent ä cette Maison un lustre incomparable. Un petit vent d’ingratitude soufflait.

Mais notre Ecole est solide et aime entendre de salubres critiques.

D’ailleurs, l’ingratitude est un mets de choix.

Tout cela entrecoupé d’une musique nerveuse d’André Souris, qui fut professeur à l’Ecole et qui illustra accessoirement la R.T.B. Vraiment, l’’Ensemble instrumental du Borinage, où joue une de nos jeunes Anciennes (Mademoiselle Roselyne Dubuisson) est de qualité.

Auditorium (Salle Nation Coulon désormais), plein à craquer.

Puis, des fleurs à nos trop nombreux Morts, dont les noms sont là, au milieu de nous. Comme dans le poème d’Aragon:

“Déjà, nous n’êtes plus que pour avoir péri…”

Pour eux, Freddy Maton, éducateur diplômé par nous et qui est un collègue aux mille talents, lance un “Aux Champs” qui déchire.

A la dernière note. L’horloge centenaire, rouillée et ahanante, se remet à sonner. Les normaliens sortent d’un long garde-à-vous.

Garde à nous…

Un drink, un pot, une chope, une pinte; zakouski et sandwiches: toutes les langues des retrouvailles.

 

Tout cela avait été précédé d’une inauguration simple comme les choses vraies, et qui sont d’elles-mêmes solennelles. Ivon Jones, qui s’identifie à tout notre labeur et avec le rôle éminent de l‘Eco1e d’App1ication, découvrait la pierre et le texte que nous reproduisons ici.

Nous nous engageons dans un second siècle.

Nous nous engageons à bien l’entamer. Nous nous engageons.

C’était d’ailleurs le jour où le soleil commençait à remonter dans le ciel.

Ernest CARLIER.

Capture

Deux dates. Une pierre brute pour l’avenir. L’abeille construit son rayon, cellule par cellule, hexagone par hexagone.

Extrait tiré du T.U. N°2 de 1960

2 AMICALE en 1960 (Rapport du Secrétaire)IMG_0014

Quoi qu’on en dise. L’Amicale n’est nullement en sommeil, elle se porte très bien.

Les quelque 13.000 Frs qui nous furent remis par l’ancien comité, il y a huit ans, ont fait de nombreux petits, notre trésorier

Félix VAN BEVER vous le dira tantôt.

Nous atteignons actuellement 1122 membres – avec les élèves – au lieu des deux cents à la même époque.

Que voulez-vous de mieux?

C’est un sommeil productif.

3 LE TRAIT D’UNION

Que dire de la revue!

Ce que je dis tous les ans… mais l’appel lancé, réitéré, rabâché, n’améliore nullement la situation… et je reste gros gens comme devant.

Vous recevez la revue avec un retard d’un an… d’accord. Et de ce fait, « les nouvelles ne sont plus « fraîches », c’est un scandale, m’écrit tous les deux mois, un régent de la région de C… mais élève et actuellement professeur, je n’ai jamais reçu d’articles de cet Ancien !… ».

Que voulez-vous que je fasse?

A l’école, on me dit : « Ce n’est pas une revue des Anciens, on n’y trouve jamais rien venant d’eux, sinon quelques articles d’Anciens attachés à l’établissement ».

A l’extérieur, on me demande : « Et le Trait d’Union, il est mort et enterré ? ».

« Faisons tous notre mea culpa… mais ne tirons pas sur le pianiste ».

Les trois derniers numéros comptent 80 pages, 56 pages et celui que vous avez reçu hier, 44 pages. Celui que vous recevrez demain quelques dizaines de pages en moins et le premier numéro de 1960 «quelques feuilles à cigarettes ».

Des articles qui me furent remis en janvier 1960 ont paru dans les numéros de 1959.

Des solutions, je vous les laisse chercher, mais qu’elles soient efficaces et satisfaisantes.

Extrait tiré du T.U. N°1 de 1960

COMITE DE VIGILANCE DES JEUNESIMG_0013

Contre le Danger nazi

Région Mons

 

Depuis près de deux mille ans, l’homme fête Noël, mais nous avons dû attendre ce dernier janvier 1959 pour que, par le monde, de sinistres individus se donnent le mot pour profaner cette douce fête en souillant de croix gammées les murs des synagogues.

En Belgique, ces emblèmes de guerre, de torture et de mort ont évoqué pour tous, les images encore vivaces des camps de concentration nazis, où vingt millions de personnes sont mortes pour leurs idées philosophiques, leurs croyances religieuses, ou tout simplement parce qu’elles étaient nées Juives. La jeunesse belge toute entière a pensé qu’elle devait faire quelque chose, et, le 11 janvier, s’est formé spontanément à Bruxelles le « Comité National de Vigilance des jeunes contre le danger nazi », qui rassemble dans ses rangs une soixantaine d’organisations de jeunesse de tous les bords : en effet, aux jeunesses juives, qui avaient lancé le mouvement, sont venus se joindre la J. O. C., les Jeunes Gardes Socialistes, les jeunesses libérales et communistes, etc…, ainsi que les associations générales d’étudiants de toutes les universités de Belgique. Sous l’impulsion de cette association, des comités régionaux se sont formés à Gand, Liège, Anvers, Mons, Malines, Renaix et d’autres villes encore.

Le comité national a organisé, ce 28 février à Breendonk, une manifestation de délégations qui a réuni huit cent jeunes. Vous pouvez lire, ci-dessous, le reportage de la manifestation.

C’est dimanche. Malgré février, un soleil précoce luit déjà sur la douce plaine de Flandre, parsemée de maisons toutes souriantes sous leur toit de tuiles rouges. Tout à coup à droite de la route, surgit la sinistre silhouette du fort tristement célèbre : une sombre masse de béton et de goudron. Les autres groupes sont déjà là, pour la plupart, et les drapeaux de toutes les organisations de jeunesse du pays flottent devant l’entrée. Nous attendons quelques minutes, et après que chacun ait reçu l’écriteau de son groupement, le cortège s’ébranle. Nous suivons le même chemin que ceux qui, il y a quinze ans, n’en sont plus sortis. Comment des gens ont-ils été capables d’envisager l’envoi de leurs semblables en de tels lieux, comment, maintenant qu’un semblant de paix est revenu, certains peuvent-ils penser un instant restaurer de telles institutions, de tels massacres, comment est-il possible que, au mépris de tant de souvenirs, des mains criminelles aient osé tracer des signes honnis sur nos murs?

Nos pas résonnent dans le couloir : il devait être terrible, pour ceux-là, le claquement des bottes cloutées sur le pavé! Ils ont laissé derrière eux une fiancée, une femme, des parents, et ils ne reverront plus la belle lumière du soleil. Ils ont lutté, et nous devons lutter contre ceux qui, parmi nous, voudraient recommencer les mêmes crimes, au nom de principes odieux.

Nous arrivons en vue du lieu d’exécution : c’est ici que l’on tuait, c’est ici que des doigts pressaient les gâchettes, commandés par des esprits aveuglément dévoués à une idéologie fasciste qui, malheureusement, trouve encore des adeptes après une aussi horrible démonstration. C’est ce qui justifie notre présence ici : il est nécessaire que de telles horreurs ne se reproduisent plus.

Il faut que chacun se souvienne de ce douloureux passé, pour que personne ne soit tenté de recommencer, sous quelque forme que ce soit ! Nous devons nous unir, pour montrer aux partisans de cet ordre inhumain que nous sommes là, prêts à nous lever au moindre signe de renaissance de ce fascisme hideux. Il est de notre devoir que tous les jeunes, présents et à venir soient mis en garde contre une doctrine aussi effrayante.

Si vous voulez être tenu au courant de nos activités, veuillez vous mettre en rapport avec CARPENTIER Yves, délégué du comité de vigilance pour l’Ecole normale Primaire et Secondaire de l’Etat de Mons.

Extrait tiré du T.U. octobre-novembre-décembre 1959

IMG_0012ECOLE MOYENNE D’APPLICATION

Si nous parlions confiance

Sachez communiquer la confiance à votre petit monde et votre tâche d’éducateur s’en trouvera favorisée.

Essayez donc, dès leurs six ans, de tirer un juste profit de la confiance qu’ils ont en eux-mêmes, cet enthousiasme générateur des plus belles et sincères réalisations de cet âge naïf et heureux.

Accordez-leur a tous votre confiance, de la sorte vous arriverez à les connaître plus vite et mieux. Confiants en vous, ils vous ouvriront la porte de leur petit univers merveilleux et secret.

Mignonnes frimousses gaies, aux joues roses de santé, aux yeux remplis d’espoir, aux oreilles, attentives à toutes paroles nouvelles, ils sont là avides de savoir, la bouche pleine de pourquoi, de comment, et de quand. Néanmoins, ils sont à cet âge, socialement parlant, de petits égoïstes ne songeant qu’à leur Moi, il s’agira donc pour le maître, et c’est à cet instant que doit se révéler toute la psychologie de l’éducateur, de tempérer chez chacun l’estime du Moi tout en essayant de développer simultanément l’esprit grégaire, le besoin d’autrui, et l’entraide possible et nécessaire à chaque instant d’une journée. De même, chaque enfant a besoin d’entendre une voix lui murmurer : « C’est bien, continue ! » L’encouragement plus que le blâme porte des fruits Communiquer un de ces petits d’homme est chose aisée !! Qui ne le saurait point? Mais l’encourager gentiment, le guider affectueusement, lui sourire quand il a envie de pleurer… je m’excuse, peu hélas, savent le faire.

C’est à vous, parents et éducateurs, que revient la noble tâche de l’encouragement. Et ici en passant, je m’empresse d’adresser de vives félicitations à mon ami Eugène Delaisse qui se dévoue et se dépense sans compter pour que les autorités ministérielles et les parents comprennent l’absolue nécessité de créer enfin des « écoles de parents ». J’ose espérer que ses efforts ne resteront pas vains et que son appel sera entendu. N’oubliez jamais, parents, qu’avec votre aide précieuse, votre enfant sera ce que vous désirez qu’il soit, dans la mesure de ses possibilités… évidemment.

Chers collègues, généralement la leçon se tire d’un bon exemple; je crois que cette fois une démonstration par l’absurde s’impose, et je le regrette n’aimant pas les « divines mathématiques ».

Un bien triste exemple me fut présenté il y a quelque temps et je ne peux m’empêcher d’en souligner la néfaste portée. J’avais à peine franchi le seuil de cette classe dont je devais reprendre les élèves en charge durant deux heures que j’entendis le « maître » prononcer ces mots à l’adresse d’un élève : « Dis, toi le grand mal bâti, que viens-tu faire ici? Rien! Tu viens voler l’école (parce que l’école est payante) ; d’ailleurs si on t’a mis ici, c’est que tu es trop bête pour aller à l’athénée ou au collège ! Tiens mes pieds sont plus intelligents que toi !!! ». Devant des paroles si peu psychologiques, je suis resté sidéré… Était-ce un professeur ou un vacher que j’avais devant moi ??? Celui-ci distribue des encouragements par brassées à quiconque en désire.

Tout est splendide pour lui, même un cahier souillé ou une page horriblement écrite. Il croit sensé de les excuser de leurs erreurs. Il laisse passer l’occasion d’attirer l’attention sur certains manquements de ses élèves et d’en faire leçon exemple à l’appui. Des dix sur dix, il en donne à la pelle… ses élèves en deviennent habitués, Il oublie, je crois, que l’habitude émousse le plaisir!

Les Latins disaient : « ln medio stat virtus ». La vertu est au milieu, c’est-à-dire également éloignée des extrêmes (Larousse). Ceci est toujours vrai. Il ne faut pas critiquer trop sévèrement un travail ou une conduite mais il ne faut pas, non plus, voir partout et en tout, la complète réussite. Parce que, dans le premier cas, en persévérant, nous en ferons des révoltés, et dans le second cas des blasés. Il faut, et j’en viens au vif même de mon sujet, savoir encourager les retardataires et les faiblards pour leur rendre cette confiance en eux-mêmes, et à la fois tempérer le trop d’amour-propre débordant de certains petits orgueilleux. Il faut à chaque chose conférer une plus juste mesure.

L’esprit d’une classe, c’est le maître, et lui seul, qui doit le créer. La classe sera excellente si le maître est sûr de lui, ‘il possède à fond sa matière, si la tenue ne laisse pas à désirer, si sa façon de s’exprimer reste correcte, et finalement si ce maître côtoyé son petit monde en gardant toutefois une certaine distance, nécessaire, nous nous comprenons… alors naîtront la confiance et le respect des enfants à l’égard du maître.

Après avoir consulté de nombreux collègues, j’ai pu établir que ce climat de confiance résultait de plusieurs facteurs :

1°) De la sincérité : Quand c’est bien, c’est bien; quand c’est mal, c’est mal. L’enfant ne supporte pas qu’on le trompe: lui mieux que quiconque sait s’il a bien ou mal travaillé. On voit certains élevés arracher eux-mêmes une page mal écrite. Vous me direz que ceci est assez rare, détrompez-vous, il y a plus de cas semblables que vous ne pourriez vous l’imaginer, parce qu’il y a plus de bons élèves que de médiocres.

2°) De promesses gardées : Ne leurrez pas votre petit monde en faisant miroiter de faux espoirs, en promettant monts et merveilles. Ne faites pas entrevoir des récompenses que vous savez d’avance ne pouvoir accorder. Je vous en prie ne les décevez pas car vous perdriez leur confiance. Réfléchissez avant de promettre, et accordez ce que vous avez promis. J-J. Rousseau disait : « Le plus lent à promettre est toujours le plus fidèle à tenir ».

3°) De l’impartialité : Essayons donc de rester le plus impartial possible. Carnegie disait : « C’est dans le présage de la partialité des récompenses que disparaît le goût du bien faire ».

4°) Du non emploi de certains termes vexatoires : Nous devrions, à tout jamais, bannir de notre vocabulaire professoral des mots tels que punitions, sanctions. Les enfants éprouvent à l’égard de ces termes une certaine répulsion.

Essayons de dire : «Toi… OUI toi qui as tant de plaisir à distraire tes camarades, tu viendras me trouver en fin de leçon, j’aurai pour toi un petit travail supplémentaire ». Ce travail, il s’agira de le donner à propos. Ainsi, si vous êtes, comme instituteur en plein exposé d’une leçon de mathématiques ou encore régent scientifique, imposez comme travail quelques problèmes ou autres applications de géométrie. Qu’un régent littéraire impose une sérieuse analyse de phrases ou de mots. Enfin, que chaque maître s’attache à sa discipline, mais de grâce qu’il n’inflige plus ces cent… deux cents ou autres idiotes lignes copiées machinalement sans même avoir été pensées une seule fois… et dont la portée corrective et morale ne restera jamais, hélas, qu’un projet de l’esprit du maître. Vous vous rappelez sûrement d’avoir dû copier des « JE. JE.. JE…dois… dois… me tenir sérieusement en classe »… Pauvres élèves… et piètre éducateur. Cela appartient au passé, qu’aujourd’hui et demain nous en prenions leçon.

Je souhaite que dans les écoles techniques payantes disparaisse à tout jamais le terme « retenue de salaire ». Faible est le maître qui ne peut, sans ce mot, accorder sa confiance tout en imposant sa discipline.

Que soient appliquées à l’extrême limite et pour des motifs valables, dans le domaine de l’enseignement secondaire, les « 2 heures de retenue et autre renvoi », sollicitant l’intervention d’un directeur ou préfet retenu à d’autres occupations importantes, afin de trancher le différend survenu entre l’élevé et le maître. Que chaque professeur prenne ses responsabilités, en restant à la hauteur de sa tâche! Car, je crois que, pour que confiance et discipline coexistent dans une même classe, il faut que le maître soit ferme et constant sans être cassant ni autoritaire, qu’il soit aimable et poli sans être mielleux ni hypocrite, qu’il soit patient et confiant sans être naïf ni dupe, il faut qu’il ait l’œil brillant, le cœur ouvert, et, « la main de fer dans le gant de velours ». (Montaigne).

Que ce soit à l’école primaire, à l’école secondaire et ensuite dans la vie, l’enfant ou l’homme ont besoin de se sentir utiles. De ce désir d’utilité envers ses semblables va naître chez chaque homme un sentiment de confiance réciproque et commune. C’est cette confiance qui unit les hommes, dans l’espoir d’un idéal plus élevé, d’un genre de vie meilleur.

Déjà les petits latins accordaient à leur maître une absolue confiance, quand fièrement, ils répondaient au « pater familias » : « Magister dixit ! ! » – « Le maître l’a dit!!» – Aujourd’hui encore les petits redisent les mêmes paroles sacramentelles prouvant ainsi que la même confiance s’est perpétuée à travers les âges.

L’enfant qui propose un jeu, l’architecte qui établit des plans, le ministre qui dépose une loi, l’étudiant qui présente une thèse; chacun à la balance de la confiance occupe une situation identique : ils attendent qu’on leur fasse confiance. Le jeu de l’enfant est adopté par ses petits camarades, l’architecte reçoit approbation pour ses plans, le Ministre voit sa loi ratifiée, l’étudiant apprend que sa thèse est acceptée.

Comme l’enfant a besoin que nous ayons confiance en lui, afin qu’il ne doute point de lui-même, l’homme mesure sa personnalité dans la confiance que veut bien lui accorder son entourage. Malheureux exemple, mais exemple quand même : rappelez-vous ces jeunes adolescents qui, se trouvant devant un public adulte leur refusant sa confiance, tuent et deviennent ainsi des criminels pour se prouver à eux-mêmes et aux autres qu’ils sont quand même quelque chose et quelqu’un. Le plus néfaste exemple et le plus récent est celui de « Monsieur Bill ». Ce cynique « Monsieur » qui, au lendemain de son arrestation, voulait à toute fin qu’on lui présentât les journaux afin d’y contempler sa tête en première page… Triste sentier de la gloire!!!

Comment, honnêtement, peut-on, tout en restant fort de soi, gagner la confiance des autres?

Je crois que nous devons essayer de nous concentrer sur nous-mêmes, au lieu de vouloir déceler les défauts d’un autre, cherchons d’apercevoir ses qualités. Nous pourrons alors lui exprimer notre admiration sincère, sans employer de termes emphatiques, solennels et faux. Restons simples et sincères pour être vrais. De cette façon, nous gagnerons la confiance, et accroîtrons la nôtre en nous. Emerson disait : « Tout homme que je rencontre m’est supérieur en quelque manière. C’est pourquoi je m’instruis auprès de lui ». Ce qui est vrai pour Emerson l’est pour vous et moi. Accordons d’abord notre confiance à autrui pour qu’il nous confère la sienne.

Cessons de réfléchir à nous-mêmes, à nos aspirations, à nos mérites pour considérer ceux des autres. Autour de nous sachons prodiguer des marques d’encouragement et de gratitude. Car si nous atteignons ce stade élevé de la confiance réciproque, nos paroles resteront gravées dans les cœurs, elles seront répétées avec délice et respect. Elles seront comme autant de perles fines à ceux qui les reçurent même longtemps… très longtemps après que nous les aurons nous-mêmes oubliées, comme autant de chansons inoubliables longtemps… très longtemps après que les Interprètes seront disparus…

Jacques MEVIS.

Extrait tiré du T.U. juillet-août-septembre 1959

L’École normale et le Plan d’Etudes 1958IMG_0011

 

Il faut en convenir : si le Plan d’études 1936 n’a pas rencontré toute l’audience qu’il méritait, si le souffle nouveau et généreux qui l’animait n’a touché, tout compte fait, qu’une trop minime partie du personnel enseignant primaire, la cause, entre autres, doit être cherchée dans l’ignorance, l’indifférence, voire même l’hostilité manifestée par trop d’écoles normales à son endroit.

D’autres, plus qualifiés que moi, qui ont vécu les heurs et malheurs du P. E. 1936 ont expliqué les raisons de cette étonnante situation. Il ne m’appartient pas d’y revenir, sinon pour en tirer une conclusion et une leçon : tout Plan d’études, si parfaite que soit sa conception, si irréfutable que soit sa doctrine, si incontestable que soit sa valeur pédagogique et scientifique, qui ne bénéficierait pas de l’adhésion unanime et enthousiaste de l’école normale, qui m’imprégnerait pas toute la pédagogie qui y est dispensée, verrait, dès le départ, ses chances d’avenir lourdement hypothéquées et ne pourrait jamais escompter qu’un succès mitigé et éphémère.

Les mésaventures du P. E. 1936 doivent servir de leçon.

Le Plan d’études 1958 doit connaître un meilleur sort.

Et que l’on veuille bien me croire : les difficultés ne résident pas, tant présentement, dans le chef de la direction et du personnel enseignant des écoles normales, qui sont tous acquis à l’esprit et aux principes du P. E. 1958 que dans la finalité, la structure, les programmes, les horaires des écoles normales d’aujourd’hui.

Dans sa double finalité : l’homologation (dont je suis partisan mais avec des critères tout autres) et le diplôme d’instituteur.

Malgré elle sans doute, l’école normale n’a-t-elle pas perdu de vue ce qui devrait être son unique Objectif : former de bons et d intelligents maîtres?

A vouloir courir deux lièvres à la fois, on risque de faire buisson creux et on est conduit en tous cas à négliger l’essentiel pour l’accessoire, à apprendre aux futurs maîtres une foule de choses dont ils n’auront nul besoin et ce, aux dépens de l’important. C’est-à-dire des branches qu’ils devront enseigner dans la ligne du P. E.

Ces branches-clefs qui, forcément, s’amenuisent au profit des exigences de l’homologation.

Dans sa structure qui oblige à mener de front à partir de la troisième année la formation générale et la formation professionnelle et ne permet à l’élève de se consacrer complètement et comme il l’entendrait ni à l’une ni à l’autre.

De loin plus solide, plus profonde, serait la formation pédagogique de l’instituteur si, dans le cadre d’une réforme de structure de tout notre enseignement, deux années lui étaient consacrées après des humanités rénovées.

Dans ses programmes et ses horaires enfin dont l’hypertrophie, conséquence inévitable de la double finalité qui lui est assignée, ne laisse à l’élève consciencieux que la possibilité d’un « bachotage effréné. Dans ces conditions, vouloir travailler sereinement à créer et à promouvoir chez le normalien cet esprit d’ouverture plus grand à l’enfance, ces attitudes pédagogiques propices à une application intelligente des directives du P. E. paraît une gageure.

Il n’est toutefois pas de circonstances si défavorables qui puissent empêcher, si l’école normale y est bien décidée, d’atteindre les objectifs signalés ci-dessus.

Comment? En repensant le problème et de sa finalité et de sa structure dans la perspective indiquée plus haut qui l’aiderait à mieux remplir sa mission.

En adaptant ses programmes et ses méthodes avec, comme objectif majeur, une formation du niveau secondaire et une excellente préparation professionnelle qui mettraient davantage l’accent sur le développement des aptitudes individuelles des élèves que sur l’acquisition du contenu théorique de programmes pesants.

C’est un enseignement actif où le savoir-faire a le pas sur le savoir-dire qui doit prévaloir à l’école normale.

Pour tous les cours bien sûr, mais surtout pour ceux de pédagogie centrés davantage sur la psychologie de l’enfant. Ainsi le P.E. constitue la base de l’enseignement de la méthodologie spéciale. Son interprétation approfondie, illustrée d’exemples pris sur le vif, est le point de départ de la formation professionnelle pratique. Le P. E. est la « charte pédagogique » dont les principes imprègnent tout cet enseignement.

Surtout, la formation des futurs maitres ne comporte pas une partie théorique s’inspirant des données de la pédagogie moderne et une partie pratique empreinte de pur traditionalisme qui la vicierait par son caractère hybride conduisant fatalement à l’incohérence, au découragement et à l’insuccès.

La pratique de l’enseignement à l’école d’application se rapproche le plus possible de la véritable réalité scolaire et est conçue de façon à permettre à l’élève-maître de travailler selon l’esprit même du P. E. : le groupement des matières autour de centres d’intérêt et leur exploitation selon le processus psychologique (observation – expression – association).

C’est pourquoi il s’y rend non plus à des heures différentes, mais bien une matinée entière ou, si possible, deux, ce qui évite le découpage artificiel des leçons.

Les normaliens sont-ils trop nombreux pour le nombre de classes à l’école d’application?

Le travail par équipes de deux ou trois élèves est alors tout indiqué qui créera de surcroît cet esprit de collaboration particulièrement souhaitable chez les enseignants.

Surtout, l’école normale ne vit pas en vase clos.

Les élèves des classes terminales visitent des écoles modèles, des classes rurales, des établissements pour atypiques.

Les conférences et les semaines pédagogiques auxquelles ils assistent leur permettent d’accroître et d’approfondir leurs connaissances, de prendre conscience des problèmes avec lesquels ils seront bientôt confrontés.

Deux stages, d’une semaine chacun, complètent l’enseignement reçu à l’école normale et donnent l’occasion aux normaliens de prendre vraiment Contact avec la vie scolaire dans toute sa réalité. Ces stages ont lieu sous la direction de maîtres de valeur, signalés à la direction des écoles normales par les inspecteurs de l’enseignement primaire.

Tel est le rôle assurément important que l’école normale, dans la perspective qui nous préoccupe, peut et doit jouer : faire connaître et comprendre le P. E. et œuvrer à son application intelligente.

Ce rôle sera bien rempli et la partie presque gagnée qui verra le jeune maître prendre possession de sa première classe, conscient certes de la difficile et délicate mission qu’il va assumer, mais armé pour la bien remplir, d’entrée de jeu, complètement et fructueusement

E. BRELISE.

Inspecteur de l’enseignement normal.

Extrait tiré du T.U. avril-mai-juin 1959

IMG_0010La formation des maîtres

de l’enseignement secondaire inférieur

Les considérations exposées ci-après ne sont que la synthèse de la modeste expérience que j’ai pu acquérir à l’École Normale Secondaire de l’Etat à Mons. Depuis l’application de la réforme du programme d’histoire pendant toute l’année scolaire 1957-1958, les professeurs ont dû repenser leur cours à la Section langue maternelle-histoire.

Je ne prétends pas exposer ici une méthode de travail exempte de tout reproche mais le résultat d’une expérience que j’ai pu tenter depuis bientôt 2 ans; ces considérations paraîtront dès lors à certains empiriques et limitées à une seule école, mais elles peuvent cependant, dans une certaine mesure, prouver que la formation de nos élèves est fonction d’une conception scientifique actuellement indispensable à celui qui veut devenir un spécialiste.

Les élèves qui se présentent en première année de Section ont tous terminé leurs études moyennes complètes et si cet état de fait n’est pas entièrement vérifié aujourd’hui, il le sera très certainement dans un au grâce à la réforme du programme de l’enseignement normal primaire.

Ces élèves ont tous la même formation que les étudiants de première candidature en philosophie et doivent donc, en principe, avoir la même base que celle exigée par les professeurs d’Université.

S’ils s’inscrivent à l’École Normale Secondaire c’est dans l’espoir de devenir des professeurs de l’enseignement moyen inférieur et partant des spécialistes de la langue française, de l’histoire et de la morale.

Quand on compare l’horaire de la première année de Section littéraire, et M. P. RUELLE en a donné un brillant exposé dans la revue << Education >> de mars 1958, avec celui de la première année de candidature en philologie romane à l’Université de Liège, on s’aperçoit que les élèves de l’Ecole Normale Secondaire sont astreints à 17 heures 1/2 de cours de plus par semaine que les étudiants de l’Université.

Le professeur de l’École Normale Secondaire devra tenir compte de ce facteur – à ce propos il serait nécessaire de repenser le programme d’études – et malgré cet handicap, essayer de donner à ces futurs enseignants une base plus scientifique qu’antérieurement, plus apte à leur donner la possibilité de voir par eux—mêmes une période de l’histoire qu’ils n’auraient pu voir au cours de leurs études.

Comme le dit M. REINHÀRD. « L’expérience et la réflexion ont prouvé que l’étude de l’histoire politique, même approfondie est insuffisante : le sort des communautés est lié aux conditions géographiques, aux données démographiques, à la structure et à la vie économique, à la culture et aux techniques, à tous les caractères enfin qui définissent une société ».

Appelés à donner cours dans les années inférieures de l’enseignement moyen, les futurs régents devront avoir notion de tout le programme d’histoire, connaître les éléments principaux de l’évolution historique. Cette histoire « aux dimensions terrifiantes » devra être proportionnée à l’objet de l’étude et aux possibilités des élèves. Pour pouvoir mener à bien cette tâche, l’élève de section devra lui-même pouvoir différencier l’important du relatif, le principal du secondaire.

Ce n’est pas lorsqu’il sera professeur qu’il sera subitement, sans autre préparation, à même de faire ce tri et de choisir dans l’accumulation des civilisations celles qui offrent un caractère de pérennité par leur originalité ou leur structure. C’est au cours de ses études qu’il devra acquérir ce jugement qui lui permettra d’effectuer ce travail d’exégèse.

Ces réflexions m’ont amené à donner à mes sectionnaires un enseignement capable de leur procurer des connaissances indispensables à leur futur enseignement qui puisse leur permettre de dominer leur matière dans l’exercice de leur profession.

Les premières instructions que nous avions reçues du Département en 1957 et en septembre 1958 tout en restant sur un plan fort imprécis nous donnaient quelques directives. Elles exigeaient une étude approfondie de quelques grands problèmes en attirant l’attention du professeur sur la nécessité de viser à la formation de l’élève et non à son information. Elles ajoutaient que l’enseignement des futurs professeurs d’histoire de l’enseignement secondaire inférieur devait « viser à une formation historique beaucoup plus scientifique que celle de la section littéraire, ancien régime ». Poursuivant le raisonnement, elles précisaient que les élèves ayant déjà eu e: l’occasion au cours des années antérieures d’étudier les différentes périodes de l’évolution de Pour réaliser ce travail le Département proposait une liste de 22 sujets parmi lesquels le professeur pouvait choisir au moins <4 une question relative à chacun des différents aspects « économique, politique, social, artistique, religieux, militaire, diplomatique, technique, etc… »

Parmi ces sujets nous trouvions :

« L’évolution des assemblées populaires, l’évolution des instructions centralisatrices en France ou dans les Pays-Bas; les voies de communications et les moyens de transport, des chaussées romaines aux routes aériennes; les origines, le développement et l’influence du baroque; les conceptions du Droit et de la justice : à Rome, à Babylone… jusqu’au régime hitlérien ».

Il va sans dire qu’à la lecture même de ces quelques exemples, il était impossible au professeur prenant à cœur son travail de formateur, d’étudier 8 sujets au moins d’une manière approfondie, comme le conseillaient les instructions. Le but même de l’enseignement visant à la formation scientifique était ainsi détourné.

Il n’était pas possible d’étudier avec conscience et méthode une série aussi vaste de sujets dans un temps aussi court.

Le professeur dispose, en effet, par an, d’environ 27 semaines de cours de 3 heures par semaine (pour ce qui concerne les institutions). soit 81 heures, desquelles il doit bien souvent déduire des heures prises par des congés éventuels non prévus initialement ou des conférences pédagogiques. Dans un laps de temps aussi restreint, il doit enseigner un nombre de matières si grand qu’il serait tenu de ne consacrer que 2 heures environ à chaque sujet qu’il soit juridique, politique, social, financier ou autre, dans une des 4 périodes de l’histoire.

D’autre part, il est bien certain que les élèves se présentant à la Section, doivent, en principe, avoir des notions de ces différents aspects de l’histoire, notions qu’ils auraient dû acquérir au cours de leurs études antérieures, mais en fait, ils ignorent tout de problèmes aussi complexes que le problème financier, économique, juridique voire même social.

Avant d’aborder un sujet déterminé, le professeur sera donc tenu de donner aux élèves des bases de ces notions multiples en fonction du programme à étudier. C’est ainsi que donnant un cours formatif, il pourra envisager après ses considérations l’étude approfondie d’une période et voir celle-ci sous ses divers aspects. Il pourra, dans l’évolution historique, montrer aux élèves la lente évolution des problèmes capitaux de la civilisation.

Je pense que le professeur ne pourra choisir dans l’exposé de son cours que 4 ou 5 sujets au maximum qu’il étudiera d’une manière scientifique et évolutive.

—————————————————————

Il n’est pas nécessaire dans un cours d’histoire des civilisations de donner une chronologie historique, celle-ci doit être connue, mais il faut attirer l’attention des élèves sur les éléments qui ont constitué l’évolution du fait historique, sur tous les facteurs qui sont intervenus et ont rendu inéluctable le point d’aboutissement exposé par le professeur.

Chaque événement de l’histoire est 1a conséquence d’une succession de causes et d’effets réagissant les uns sur les autres. Or ces causes peuvent être philosophique, sociale ou autres; aussi, l’objet du cours de civilisation consistera à les développer, à les différencier, à en montrer tous les aspects.

Il faudra rechercher toute cause lointaine ou immédiate de l’événement envisagé, faire la distinction entre occasion et cause, faire un travail d’analyse, de critique historique.

Procéder ainsi exige des recherches approfondies et un travail de synthèse qui donneront au cours une valeur scientifique.

Les sujets étudiés devront être peu nombreux mais bien choisis permettant un développement rationnel des divers aspects, politique, économique, social, juridique.

En étudiant 4 à 5 sujets dans leur évolution historique, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours ou même sur une période moins longue. le professeur de la section aura donné à ses élèves les bases d’un travail personnel ultérieur.

Pour illustrer ma pensée je proposerais entr’autres l’étude de l’évolution des classes sociales depuis I ‘Orient classique jusqu’au 1er quart du XXe siècle. Un tel sujet permet au professeur d’étudier tous les aspects d’un problème capital en abordant l’étude de l’économie, de la politique, de la technique, de la religion, etc… D’autres sujets peuvent aussi être envisagés mais ils devront toujours, à mon avis, tenir compte de tous les caractères qui définissent une société.

Le programme d’histoire de la Section prévoit également en 1ere année une heure semaine de critique historique.

Ce cours fera l’objet d’une attention particulière. Il peut être donné d’une manière active par la présentation de textes aux élèves. Jusqu’à présent, le professeur a dû se contenter de textes dactylographiés en français du Moyen-Age ou des Temps Modernes, car la connaissance de la langue latine était insuffisante, mais bientôt, il pourra combler cette lacune.

Il est bien certain qu’il ne faut pas se livrer à l’étude approfondie d’un texte mais plutôt mettre en relief les divers éléments, les formules diplomatiques, les sceaux, les datations, etc…

Après ces observations faites en commun, il sera facile de donner les grandes lignes de la critique externe.

Pour le fond, le même procédé sera employé avec certains textes judicieusement choisis afin de permettre d’ouvrir la voie à la critique interne du document.

Ccs deux parties du cours acquises, il ne restera plus qu’à donner les éléments de la synthèse historique en s’aidant d’exemples.

Pour ma part, j’ai choisi des textes français du Moyen-Age en accord avec le professeur de langue maternelle pour que l’étude de ces deux disciplines puisse se faire parallèlement.

Ce cours comportera en outre un bref aspect des sciences annexes de l’histoire, telles que la paléographie, l’historiographie et peut-être la sigillographie.

Il ne faut pas penser que toutes ces sciences doivent être vues d’une manière approfondie, mais l’élève doit avoir notion des éléments principaux qui les composent. Le professeur doit, en un mot, lui permettre d’entrer en contact avec des connaissances nouvelles dont, sans cela. Il ignorerait tout.

Le travail de Séminaire comporte deux heures semaine dans chacune des années de section, je reviendrai sur ce travail dans l’exposé du séminaire de 2ème année.

 

 

Après avoir donné un aperçu des cours de 1ère année, je vais envisager les cours de seconde.

Le nouveau programme comporte 6 heures d’histoire, dont 3 heures d’institutions, l’heure d’institutions d’histoire de Belgique et 2 heures de travaux de séminaire.

Les 3 heures semaine prévues pour l’étude des problèmes de civilisation seront comprises de la même manière qu’en première année. Le professeur s’efforcera d’étudier 4 à 5 nouveaux sujets plus approfondis ou plus complexes que ceux de première mais aussi étendus dans l’évolution historique et aussi variés d’aspect.

L’heure prévue pour l’étude approfondie de l’histoire de Belgique devra permettre aux élèves de dominer la matière qu’ils auront à enseigner à l’école moyenne ou dans les années inférieures de l’Athénée. Le professeur choisira, à mon sens, plus spécialement l’étude de l’évolution communale, de la formation des centres urbains, de l’évolution économique du Xe au XVIe siècle, ou de la lutte des belges pour la conquête de leurs privilèges ou libertés.

Voyant ainsi tous les aspects d’un fait de l’histoire ignoré à I ‘Athénée ou à l’École Normale primaire, le professeur formera ses élèves à cette compréhension du fait historique, à cette objectivité nécessaire à leur formation d’enseignants.

Les deux heures semaine consacrées aux travaux de séminaire dans les deux années doivent permettre au professeur de donner aux élèves une formation scientifique pratique. Je pense que le but même des études de professeurs du degré moyen inférieur trouve ici sa pleine justification.

Dès la première année, je me suis éventré à mettre mes élèves en contact direct avec la réalité historique.

Prenant un sujet que je pouvais développer pendant deux ans, j’avais choisi l’année dernière « l’opinion publique à Mons dans les journaux, de 1780 à 1850 » et cette année-ci « le régime français dans le Département de Jemappes ».

Le choix du sujet était difficile car il fallait trouver à Mons même des documents pouvant être consultés par tous, sans connaissances particulières soit de paléographie, soit de langue.

La première année, j’ai appris aux élèves le sens de la bibliographie, la manière de procéder pour rechercher des documents, des ouvrages de synthèse ou des monographies. Petit à petit, dans un travail par équipe où l’esprit individuel doit prédominer, les élèves ont constitué une somme de recherches, dont les données étaient classées sur fiches, qui leur donnaient une vue d’ensemble du sujet étudié. Chacun dans son domaine propre, économique, politique, administratif, social, financier, etc., avait ainsi récolté une moisson de connaissances suffisante pour entreprendre modestement d’abord puis avec plus de franchise un travail personnel qui les mettait en Contact avec des documents originaux. Je tenais d’autre part, par devers moi, les fiches bibliographiques des ouvrages consultés par chaque élève, ce qui me permettait de suivre d’une manière constante les progrès des travaux effectués.

Ce rodage accompli, il est nécessaire d’y consacrer la presque totalité de la première année – chaque élève recevra le titre de son travail de fin d’études auquel il devra définitivement se consacrer.

On pouvait bien entendu prévoir en plus de ce travail des travaux de recherches dans d’autres domaines historiques, mais il fallait tenir compte des considérations énoncées plus haut.

considérations d’autant plus valables en seconde année que le temps libre était encore réduit par les prestations indispensables aux bibliothèques et aux archives.

Livré à lui-même, sous la conduite du professeur, l’élève apprend à rechercher le document, à l’examiner, à réfléchir, à observer et faire des rapprochements, à se former l’esprit, à se trouver une méthode de travail d’autant plus valable qu’il sera aidé par ses connaissances acquises en première année, en critique historique.

Chaque séance de séminaire sera alors consacrée au développement oral d’un sujet étudié par l’élève et entrant dans le cadre de ses recherches.

Ce travail sera critiqué par ses camarades et le professeur qui en tirera des enseignements utiles à tous.

C’est ainsi que cette année, les nouveaux professeurs de l’enseignement moyen du degré inférieur auront présenté des travaux de fin d’études tels que : « L’opinion publique à Mons entre les années I853 et 1864, vue à travers l’étude du e Constitutionnel ». – « Présentation de « L’Echo du Hainaut » et étude sur la presse en Belgique de 1815 à 1830 ».

Chaque travail sera divisé en trois parties.

Dans la première partie, le sectionnaire donnera un aperçu synthétique et complet de la période pendant laquelle le journal a paru et étudiera d’une manière plus approfondie un chapitre traité spécialement par cet organe de presse, soit de politique extérieure, soit d’économie, soit de liberté de presse.

Dans la deuxième partie, il fera la critique externe du journal et donnera toutes les indications requises pour un bon travail : dates de parution, nom de l’éditeur, noms des rédacteurs, format, prix, etc…

Dans la troisième partie, l’élève analysera le fond des documents et donnera l’opinion politique du journal. Il devra justifier son jugement en se basant sur la première partie de son travail où il aura développé la période politique.

Au cours de leurs études, les futurs professeurs de l’enseignement moyen du degré inférieur auront ainsi, j’espère, acquis une base historique scientifique, qui tout en leur donnant des possibilités d’études plus approfondies, les délivrera dans l’enseignement de l’esclavage du manuel scolaire. S’adaptant à une tournure d’esprit scientifique, ils auront en même temps acquis le sens social de leurs obligations.

Alfred BRUNEEL.

Professeur d’histoire à l’École Normale Secondaire de l’Etat à Mons.

Extrait du T.U. Janvier 1958

Un périodique pour jeunesIMG_0007

Mon ami. Monsieur BRUNEL, me communique son texte avant de I ’envoyer à l’impression. Pourquoi, grands dieux ?

Non pour que je le revoie ou le Censure. De quel droit le ferais-je?

Bien plutôt, je crois, au nom de L’amitié et en raison d’efforts accomplis en commun pour assurer la vie à ce jeune périodique qu’est

« TROUBADOUR ».

« TROUBADOUR » est né, il a cherché sa voie.

Il l’a trouvée, il grandit, il s’étend… Demain, il sera le grand périodique des jeunes.

Mes amis les instituteurs ne lui feront jamais assez bon accueil.

M. GODERNIAUX.

Inspecteur Général de l’Enseignement Primaire.

TROUBADOUR

MENSUEL POUR LES JEUNES

Nous n’oublierons jamais ce cri d’alarme poussé par un jeune conférencier français :

« Les journaux illustres empoisonnent la jeunesse d’aujourd’hui ».

C’était en mai I955, dans une salle de cinéma d’essai du Ministère de l’instruction publique.

Dès les premières images du film (une histoire de Superman), nous fûmes bouleversés. Etait-ce là la nourriture dont nous gavions les jeunes de chez nous?

Ruse et force brutale des héros, sensualité ou cruauté féminine, bassesse et lâcheté des hommes de couleur. De gros plans faisaient ressortir le caractère à la fois vulgaire et impressionnant de chacun des dessins. L’histoire tenait en haleine, née de l’imagination la plus téméraire. Quel écœurement devant tant de laideur et surtout devant tant d’habileté diabolique?

« Le voilà le poison! », pensions-nous.

Et qu’y‘ trouver à redire ? Le bon l’emporte toujours sur le méchant! La morale en apparence, est sauve ! Mais le trouble qui s’éveille dans l’âme des enfants devant ces images de tortures, d’absurdes passions, ce trouble n’est-il pas insidieux, ne va-t-il pas fausser les plus saines notions, grandir et provoquer des lésions inguérissables?

Et nous, les éducateurs, comment réagirions-nous?

Pour nous, ce fut un choc, une prise de conscience.

Mais comment lutter?

Un moyen : entrer en lice à son tour avec les meilleures armes, le courage, l’amour, l’honnêteté et lancer un journal. L’entreprise est audacieuse, nos moyens financiers quasi nuls, mais nous décidons d’agir et nous réalisons le « TROUBADOUR »

Le voici ! Sa tâche est difficile et pour vivre, « TROUBADOUR » a besoin d’amis qui contribuent à son essor, qui l’aident dans sa lutte, une lutte passionnante pour nous, pour vous, pour tous ceux qui aiment les jeunes.

Comité de rédaction : A. et F. LENGER.

M. L. VALENTIN.

P. VINCK.

C’est en avril 1956, avec le premier numéro de TROUBADOUR qu’une petite équipe d’éducateurs, petite mais follement téméraire, lançait cette lettre émouvante.

Né d’un grand élan d’enthousiasme, de confiance et d’amitié à l’égard de la jeunesse actuelle, un journal pas comme les autres prenait son élan.

Réalisé à l’aide de moyens financiers pratiquement nuls et par une équipe extrêmement réduite, dispersée, de plus, aux quatre coins du pays. TROUBADOUR devait pourtant vivre.

Et s’améliorer!

Vous ne serez pas nécessairement d’accord avec TROUBADOUR. Il présente des lacunes.

Vous le trouverez peut-être inaccessible, trop sérieux, trop maigre; vous penserez sans doute qu’il y manque des dessins et des photos en couleur, qu’une parution mensuelle est insuffisante.

Je partage ce point de vue.

Les jeunes ont besoin d’un périodique qu’ils retrouvent fréquemment avec plaisir : un périodique copieux et riche, généreusement agrémenté d’illustrations en couleurs; un périodique où ils puissent trouver, sous une forme vivante et attrayante, mais de haute qualité, des articles et des chroniques répondant à leurs multiples intérêts : sciences, explorations, aventures, voyages, contes, chroniques littéraires, musicales, artistiques, techniques… etc.

Ce beau rêve est à l’aube de la réalité.

Il dépend de peu de chose.

Le journal existe; une équipe existe qui, modestement mais avec un fougueux idéalisme, le pousse en avant.

Qu’une partie seulement des éducateurs de bonne volonté décide d’agir et le miracle s’accomplit. Que ceux qui tentent d’inculquer à leurs jeunes élèves le sens de la coopération s’unissent en un vaste et généreux mouvement coopératif et les jeunes seront dotés du plus beau périodique qu’ils méritent.

La modeste moyenne de trois à quatre abonnements par commune suffirait à assurer des améliorations spectaculaires de TROUBADOUR. L’expérience prouve que l’élite des jeunes apprécie et aime déjà TROUBADOUR dans sa forme actuelle. L’avis autorisé de nombreux éducateurs de marque prouve qu’ils n’ont rien à y perdre. Que les éducateurs soucieux de l’avenir culturel des jeunes qui leur sont confiés poussent les meilleurs de ceux-ci (et leurs parents !l) à souscrire un abonnement et la présentation du journal fait un bond en avant qui lui assure l’intérêt d’une nouvelle couche de lecteurs.

Je ne veux pas, devant des éducateurs, développer une argumentation en faveur d’une idée dont je les crois convaincus. Mon seul but est de vous exposer un problème et de vous en proposer une solution : un périodique pour jeunes existe et vous pouvez contribuer à en faire la plus belle revue que méritent les jeunes et l’Enseignement officiel.

Mon espoir est que, ou bien vous adopterez la solution proposée, ou bien vous nous en proposerez une meilleure!

« Et que deviennent les tout jeunes? » s’écrieront beaucoup d’instituteurs! Ne croyez-vous pas qu’il sera facile et peu coûteux, à partir d’un journal bien installé, d’éditer un numéro pour les cadets? Cet aspect du problème ne mérite-t-il pas votre considération?

J’aurai le plus grand plaisir à répondre à tous ceux d’entre vous qui désireront connaître de plus près TROUBADOUR, son équipe et leurs problèmes.

Alfred BRUNEL

65, rue G. Mobile

Havré.

Extrait du T.U. Octobre 1957

LE MAUDITIMG_0006

Nouvelle littéraire d’Eugène DELÀISSE (I, 1954)

Père Antoine n’avait pas desserre les dents de la soirée.

Il enleva des lèvres son éternelle pipe de noisetier et dit brusquement à sa vieille compagne :

– le suis inquiet, Marie, Ça fait un p’tit temps qu’on n’a plus vu Yan, Il serait malade que cela ne m’étonnerait guère.

– Tu te chiffonnes pour une gargouille, va, D’ailleurs, le curé n’a-t-il-point dit que des gens étaient possédés du démon, M’est avis qu’il parlait de Yan.

L’homme haussa les épaules, considéra distraitement le tabac éteint et le ralluma, songeur et visiblement contrarié.

– Pauvre Yan, murmura-t-il.

Yan était le maudit du Village, Tous méprisaient sa solitude, le mystère dont il s’entourait et surtout sa laideur, Une large balafre lui déformait le visage et inspirait la peur.

On ne savait rien de cet homme massif et rude, venu, peu après la guerre, occuper, à deux doigts de la forêt, un pavillon délabré et miteux, La frondeur des gens, leur méchanceté même l’avaient isolé, si bien que le bois tout proche était devenu son refuge, un univers auquel il s’était forcément attaché.

Il descendait parfois au village s’approvisionner chez Père Antoine, le seul être à avoir entendu sa voix, une voix chaude et étrangement douce, peut-être l’unique aussi à plaindre sa solitude et à la respecter.

…Antoine se leva, revêtit sa pelisse et sortit sans un mot, Il faisait nuit. Dans un ciel de décembre lumineux et figé, une lune jaunâtre animait les étoiles, Un ciel de gel!

Au détour de la route qui fuyait vers le bourg, Père Antoine s’arrêta, Là-haut, au-dessus des abruptes prairies noyées dans le noir, il devina une pâle lueur que l’ombre des arbres recelait comme dans une étreinte.

– Yan est donc la, murmura le vieil homme soudain perplexe. Que vais-je lui dire à cette heure?

L’envie de rebrousser chemin le tenailla un instant: mais, quand instinctivement il se retourna, entrevit la masse sombre des maisons et perçut la présence de ceux qui maudissaient Yan, il quitta les pavés et, frappant le sol gelé, de son bâton de frêne, entreprit l’ascension du sentier long et rude qui menait au sommet.

Essoufflé et las, à quelques pas a peine de la misérable cabane, Père Antoine vacilla sous l’emprise d’un vertige.

– Le cœur, se dit-il ; mais il savait que c’était une peur qu’il n’osait s’avouer et dans laquelle s’infiltraient les ridicules effets de la superstition.

Il frappa.

– Qui va là? fit une voix brutale et rauque que le vieux devina plus qu’il ne reconnût.

— C’est Antoine, l’épicier!

Il y eut un court silence,

Sous l’effet du froid vif et de l’incertaine attente, Père Antoine frissonna.

– Entre vieux !

Antoine poussa la porte et crut défaillir.

Plus jamais, il n’oublierait ce visage décharné et bleui par le froid et ces yeux cruellement vivants que les faisceaux étranges d’une veilleuse rendaient hagards et plus brillants encore.

— Tu as peur, Père Antoine ?

– Non, Yan, non, c’est le froid, balbutia le brave homme,

– Oui, le froid, répéta Yan se dressant péniblement sur son séant.

Père Antoine regarda tristement les deux bras maigres et nus émerger des couvertures usées et sales, Il aurait voulu les étreindre, crier à cet homme qu’il ne l’avait jamais haï et ne demandait qu’à pouvoir l’aimer, le comprendre, l’apaiser, Il se tut pourtant.

– Tu ne dis rien, Antoine, Tu me croyais mort, hein!

Le vieux esquissa un geste de dénégation mais Yan l’arrêta.

– Ne te fatigues pas, Mes poumons sont cuits. Bientôt, ce sera la délivrance.

Derrière les yeux du vieillard, s’amassaient des larmes qu’il n’osait libérer.

Le moribond enchaîna avec un maigre sourire:

– Tu es venu à point, Père Antoine.

Écoute-moi vieux, je suis à bout, je le sens mais quand je ne serai plus là, tu iras leur dire qui était Yan le maudit, Peut-être alors comprendront-ils ?

Plus de dureté dans ces propos mais plutôt une extrême tristesse et une résignation que la maladie avait engendrées.

Père Antoine se sentit faible et malheureux, l’autre cependant acheva sa confession:

-Au début de la dernière, j’avais trente ans, On me mit dans les mains un fusil, des cartouches et en avant pour la stupide comédie.

Un soir, dans une embuscade, une baïonnette me laboura la face (l’homme respirait difficilement). On m’a recousu, mais ma laideur me tua plus que mes blessures. Quand j’appris la mort de ma femme et du gosse, je regrettai d’être encore en vie, L’idée de me supprimer lâchement me répugna et je m’enfuyai pour échouer ici au milieu de ces faces qui me blâment sans aucune pitié.

Héros, patrie, martyrs: des grands mots, Père Antoine.

Yan essuya avec un coin du drap la bave qui suintait de ses lèvres difformes et, sur le linge sale qui avait été blanc, Antoine aperçut une trace rougeâtre.

– Du sang, songea-t-il avec une impuissance qui le paralysait.

Yan parut soulagé, Il ébaucha une grimace qui se voulait un sourire.

– Maintenant vieux, pars, Je veux être seul.

Père Antoine se leva, anéanti et pâle, marcha jusqu’à la porte:

– A demain, Yan dit-il machinalement et sans se retourner s’enfonça dans la nuit.

Quand il revint à l’aube, Yan avait disparu, emportant avec lui sa part de mystère et peut-être l’espoir d’avoir été compris.

On ne le retrouva jamais.

Les troncs secs et nus et les sous-bois arides dissimulaient des gouffres que les gens du pays disaient être sans fond…