Extrait du T.U. du 1er Août 1949

 

                   Pro Domo …       1 aout 1949

       Le monde est, aujourd’hui, entraîné dans un tourbillon réaliste ; les mirages scientifiques le hantent et l’hypnotisent. Déjà les hommes parlent de l’énergie nucléaire comme d’une bonne vieille découverte, spéculent sur le moteur atomique, bâtissent mains projets en vue de voyages planétaires. Nos journaux réclament l’ assèchement des mers et la liquéfaction des déserts. Jules Verne est un réactionnaire et Wells un rétrograde. Allons, mécanisons donc, et vivement, soyons positifs, soyons de notre siècle …

            Et après tout cela, il subsiste encore … Je parle du cours d’ histoire. Et le garçon moderne, qui peut comme quiconque brûler les kilomètres, suivre les émissions de New-York, gagner Paris en X minutes, admirer les meetings du ciel et discuter camera, doit ( quoi donc servi 1789) étudier la politique de la Grèce ancienne, se pencher sur la vie du Forum romain, remonter à la formation de l’ Europe…. « Foin des pyramides, de cruches étrusques, de péplum et de tromblons, se dit-il, au bûcher les traités de Verdun et de Westphalie  »… Et il ajoute, dans un gros soupir : «  Bah, le passé … pourquoi s’y attarder ; le destin de l’humanité n’est pas derrière elle, mais devant ».

            Là git le danger. On enseigne quelque chose, et l’élève se demande : « Est-ce utile, cela me servira-t-il ?  » Vivant au cœur du XXe siècle, il voit l’ immédiat. Je ne veux point parler, pour la défense de l’histoire, de sa nécessité pour la bonne compréhension du sentiment de la patrie, ou de la politique _ étayée sur les expériences passées_ ou encore des lettres et des arts… Dans ce dernier ordre d’ idées, que signifient en effet, une cathédrale gothique, une toile de Van Dyck ou de David, une page de Lulli, une lettre de Madame de Sévigné, un roman de France, une chronique de Duhamel sans bases historiques, sans connaissance des temps révolus ? Autant jeter l’anathème sur ce que les peuples ont de plus grand, les œuvres de la pensée et du cœur…

            Mais il y a mieux. L’histoire donne le sentiment profond de l’humanité. Manions le volant, suivons les progrès scientifiques, soit. Mais n’oublions pas que des cœurs ont battu avant nous, ont espéré et créé, que des esprits ont pensé et conçu, ont tenté de trouver la Vérité, de proclamer la Raison, et qu’après nous ce grand mouvement de recherches, d’échecs, d’espoirs immenses se poursuivra ! Nous faisons partie intégrante d’ une vaste ronde ; notre destin est soudé au passé et à l’ avenir ! Tâchons de réaliser que cette lente évolution ne nous a pas, nous, chétifs, comme but final…

            La connaissance de l’histoire permet de saisir ce que nous sommes, de donner au mot « humain » sa vraie noblesse, de nous dépouiller d’un orgueil exacerbé par quelques conquêtes scientifiques, de se pencher sur des douleurs anciennes, de souhaiter mener à bien des anciens rêves déçus, de comprendre que l’homme par sa raison a façonné son destin. Bref, pour reprendre le mot de M. Piret, l’histoire doit nous conduire au « choc psychologique » de l’humanité.

            Négliger cela serait une désertion, un appauvrissement. Plus encore, un défi à notre propre avenir.

                                                                                                                                                                                                                                           Feddy S.

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