Réflexions d’un Ancien
L’assemblée générale du 6 mai 1948
Moi, vous savez, du temps où j’étais « Normaliste », j’ai toujours trouvé que les murs étaient trop hauts, la porte (celle par où l’on sort) trop étroite, les semaines trop longues, les « fumoirs » inconfortables, etc. Alors, n’est-ce pas, le jour où Mossieu l’Inspecteur _ Président du Jury, après un discours fort long, m’a donné mon diplôme, j’ai mis le cap sur la gare et on ne m’a plus revu à Mons que le jour de l’ incorporation. Tout ça pour vous dire qu’il a fallu que je n’aie vraiment rien à faire ce jour-là et que j’aie rencontré Ulysse la veille….. Ulysse y allait, il y va depuis toujours … Ulysse, c’est celui qui était septième quand j’étais huitième, qui me refilait ses analyses et à qui je refilais mes problèmes. Alors, voilà, il m’a rappelé pas mal d’histoires et j’ai dit oui.
A neuf heures tapant, on était dans la cour. Il n’y a pas à dire, ça fait un drôle d’effet de se retrouver dans une école où on a passé cinq ans de quatorze à dix-neuf ans. Comme nous étions à peu près les premiers, nous sommes allés faire un tour dans la maison. Pas mal, les nouveaux bâtiments, pas mal du tout. Mais ça ne me rappelait rien, alors on n’a fait que passer. Puis, Ulysse et moi, on est allé faire un tour dans les classes, on est monté dans les anciens dortoirs, on a revu la salle de travail manuel, celle de dessin.
Eh bien ! C’est curieux, mais ça m’a rajeuni de vingt ans. A chaque pas, un souvenir ! Je me suis rappelé des vers de Polyeucte et je les ai récités à Ulysse. Il n’en revenait pas. Il faut vous dire qu’après la classe, moi, je fais mon journal pour le lendemain, puis je m’occupe de mon jardin. Quant à Corneille et à Polyeucte, eh bien, peuh ! …..
Quand on est redescendu, il y avait pas mal de monde. Beaucoup de visages connus, des vieux copains, des professeurs. Les uns bedonnants, les autres presque pas changés. Et vraiment, ils avaient l’air content de me revoir, je n’aurais jamais cru ça. Du reste, à moi aussi, ça me faisait quelque chose. Comme c’est bizarre tout de même, voilà que je regrettais de n’être pas venu depuis des années.
Puis, l’assemblée a commencé. Vraiment ! On ne s’est pas ennuyé ! Moi, je ne me figurais pas ça comme ça, une assemblée générale des Anciens Elèves de l’Ecole Normale de l’Etat à Mons ! Je pensais que le Président faisait un discours, qu’on applaudissait, puis qu’on allait manger un morceau et boire un coup avec les copains. Eh bien, pas du tout ! On a discuté et ferme ! J’ai même dit quelque chose ; pas grand-chose évidemment parce que c’est la première fois, mais on va voir l’année prochaine !…Le Président, Monsieur Neerdael a parlé des vivants et des morts, le Secrétaire a fait le compte rendu de la dernière séance et le Trésorier a parlé argent. C’est ici que les avis ont commencé à différer. « Le Trait d’Union, disait le Trésorier, va me vider le fond de ma caisse ». Il paraît que ce n’était pas vrai, Le Directeur, Monsieur Piret s’est levé et a démontré le contraire. Moi, au fond, je ne sais pas qui a raison, mais je souhaite que le Directeur soit dans le vrai : Ulysse m’avait montré en venant, un numéro du Trait d’Union : ce n’était pas mal du tout.
Deuxième tableau ! « Le Comité, explique le Président, n’a plus été renouvelé depuis huit ans. Il va falloir procéder au remplacement d’une moitié de ses membres ».
Moi, voilà, à l’Ecole Normale, j’étais surtout bon pour les problèmes. Je n’ai jamais été très fort en rédaction. Alors je n’essayerai pas de vous expliquer dans les détails ce qui s’est passé. Le Secrétaire (c’est Ulysse qui me l’a dit) le dira dans son compte rendu de l’an prochain.
Toujours est-il qu’après trois quarts d’heure de discussion, le Comité est sorti dignement de la salle et qu’on a procédé à des élections. Mais le plus fort, c’est qu’après un vote à bulletins secrets et sans campagne électorale préalable, la moitié du comité qu’il fallait renouveler a été réélue presque sans changement.
Ulysse prétend que tous les détails paraîtront dans le prochain numéro du Trait d’Union. Il est toujours bien renseigné, Ulysse ; il était déjà comme ça autrefois……
Là-dessus, comme il était une heure, on est allé dîner. Le temps me manque pour raconter ce qui s’est passé l’après-midi. C’est dommage, car on s’est bien amusé. Mais si vous venez l’année prochaine, vous le verrez, Ulysse dit que c’est toujours comme ça.
R. CAILLOU.