Extrait du T.U. n° 34 du 1er janvier 1955

   L’enfant connaît-il le «  beau »                                        

        Dans la vie, bien peu de personnes savent juger le beau par elles-mêmes. Lorsqu’il s’agit d’émettre une opinion en matière d’art, la plupart des gens s’en réfèrent soit à d’autres et c’est le critique d’art parlant en maître, soit à une tradition : «  c’est beau, c’est comme… »

            Il serait pourtant souhaitable que chacun puisse voir et comprendre le beau qui se présente à lui … Pour essayer d’arriver à ce résultat positif, il importe de développer chez l’enfant la sensibilité artistique . «  Ce qui est beau à mes yeux, c’est ce qui me plait  » .

            Pour des raisons de simplicité, nous partagerons nos idées en deux groupes bien distincts.

                Ce qu’il ne faut pas faire :

            Il ne faut pas amener l’enfant à dessiner ou à colorier sans réfléchir : la copie pure et simple de modèle se trouvant dans des illustrés ne donnent aucun résultat au point de vue artistique.

            Il en est de même du coloriage des images d’un livre à moins que cet exercice ne soit prévu, dans le très jeune âge, dans le but d’améliorer le sens de l’observation.

            Lorsque le maître donne trop d’indications – fais ceci comme cela, mets telle couleur, etc. c’est lui seul qui travaille et qui apprend quelque chose, l’enfant n’en profite pas.

            On ne doit pas confier des choses abstraites à la mémoire de l’enfant, (montrer une gamme de couleurs, par exemple ). Il est de beaucoup préférable de rattacher chaque idée à une chose concrète : «  Regarde, voilà le vert du marronnier de la cour vu en plein soleil… – Voilà le rouge du toit de la maison d’en face  ».

            En aucun cas, il ne faut pas négliger l’imagination pour reproduire ce que l’on voit.

            Ce qu’il faut faire :

            L’enfant, quel qu’il soit, a des idées originales : Il nous appartient de les respecter et de permettre leur libre expression. Si nous voulons apporter un changement, une modification quelconque, n’imposons pas directement notre façon de voir mais discutons -la avec l’enfant. Par cette discussion, nous cultiverons en même temps la raison, le sens critique du petit.

            Nous devons, sous toutes ses formes, stimuler la création chez l’enfant. L’élève qui crée a d’abord analysé pour se donner des matériaux … Et l’œuvre qu’il aura composée sera plus ou moins bonne suivant qu’il aura plus ou moins bien observé auparavant. Le contentement qu’il éprouvera excitera au plus haut point sa sensibilité et l’encouragera inconsciemment à produire de nouveaux efforts d’observation, donc, de nouveaux efforts d’analyse.

            On doit apprendre à l’enfant à juger lui-même ses œuvres, à les comparer à d’autres, à recommencer lorsque le résultat n’est pas atteint.

            Si nous devons corriger la technique de l’une ou l’autre œuvre d’un élève, nous ne le ferons pas magistralement mais nous guiderons plutôt notre jeune artiste en raisonnant avec lui. Il ne faut pas qu’il perde pied dans l’immensité de l’art, il faut au contraire ménager sa sensibilité pour qu’il garde constamment une confiance absolue en lui-même, en ses possibilités. Là seulement, se trouve la clef de la réussite artistique et de l’amour du beau « vrai ».

            Ne jamais perdre de vue qu’en matière d’art, la technique n’est qu’un moyen : ce qui importe, c’est d’une part la pensée créatrice et l’esprit critique et , d’autre part, la valeur de la sensibilité personnelle.

                                                                                   Jean   GLINEUR.

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