Extrait du T.U. n° 42 du 1er janvier 1957

  (une partie de l’article ……..)

     La Voix des Anciens et des Prof ‘ s
 Le problème de l’enseignement des langues modernes        
       mis en lumière par l’ Exposition Universelle de 1958

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              L’Exposition n’attirera le public que lorsqu’elle battra son plein, c’est-à-dire en 1958.

                L’étude des langues est un sujet qui généralement ne passionne que les spécialistes, c’est-à-dire les philologues.

                Néanmoins il est bon que dès à présent l’attention soit attirée sur les relations existant entre l’étude des langues étrangères et l’Exposition de 1958, car la plupart des Belges ne rendent pas très bien compte de l’importance que celle-ci confère actuellement à celle-là en Belgique.

                Une circulaire.

            Le 13 décembre 1955, Monsieur le Directeur Général Vandenborre, du service des relations extérieures au Ministère de l’Instruction Publique, adressait à tous les établissements d’enseignement ainsi qu’aux dirigeants des groupements de jeunesse, une circulaire par laquelle il attirait l’attention sur L’Exposition Universelle de Bruxelles prévue pour 1958.

            «  Des milliers de visiteurs étrangers nous viendront de toutes les régions du globe  » écrivait-il notamment , «  et ce ne sera pas la moindre des tâches que de veiller à les recevoir dignement …

            … Il importe que les visiteurs de l’Exposition gardent de l’accueil qu’ils auront connu, non seulement au Heysel, mais dans le pays tout entier, l’inoubliable souvenir d’un véritable festival de l’Hospitalité ».

Et Monsieur Vandenborre citait alors le Président du Comité d’accueil de l’Exposition :

            «  Nous voulons que chacun des 30 millions de visiteurs qui montera au Heysel, ait l’impression d’abord, la certitude ensuite, quelle que soit sa langue, sa race ou sa condition, d’avoir été personnellement attendu  ».

            Cette déclaration du Président du Comité d’accueil doit, croyons-nous, retenir notre attention, car elle formule un souhait de nature à faire réfléchir non seulement tous ceux qui sont intéressés à l’enseignement des langues étrangères en Belgique, mais bien l’ensemble de notre peuple.

            Le fait que tout visiteur, « quelle que soit sa langue », doit avoir l’impression d’être « personnellement attendu » implique en effet une tâche et un effort énormes pour la population belge. Et il est évident que ce désir, pris au pied de la lettre, n’est que l’expression d’un beau rêve échappé d’un monde d’utopie.

            Raisonnablement nous pouvons en effet tout au plus émettre le vœu que les Belges,-du moins ceux qui , par la nature de leurs fonctions, seront mis en relation plus ou moins étroite avec les visiteurs étrangers de 1958, – fassent l’effort de comprendre ces derniers au mieux de leurs aptitudes.

            Ce vœu postule donc l’acquisition par les intéressés d’une certaine connaissance pratique d’une, _ ou mieux, de quelques-unes, _ des principales langues étrangères.

            François Mauriac n’a-t-il pas raison d’accuser la confusion des langues de contribuer pour une grande part à la division des esprits et de faire de tout étranger un monstre à face humaine, quasi aussi fermé que peut l’être l’expression d’une bête redoutable ?

            Ne soyons donc pas surpris qu’il nous soit actuellement donné de lire des affiches, dans des revues, des prospectus de librairie, etc., des slogans qui, pour être variés, n’en ont pas moins tous la même signification, que nous résumerons par une citation d’une affiche du Comité d’Accueil :

                                                                                                                         d’après Hervé

«  SOYEZ PRETS POUR 1958… APPRENEZ LES LANGUES  » !

Qu’il nous soit donc permis tout d’abord de nous poser une question : en quoi l’étude des langues peut-elle contribuer à la réussite de l’Exposition ?

Dans notre monde moderne où les progrès énormes de la technique ont, en fait sinon toujours en principe, abaissé les frontières et réduit les distances, les échanges d’idées entre les peuples se font de plus en plus fréquents, et les voyages internationaux, et même intercontinentaux, ont perdu ce caractère d’exception qu’on leur connaissait autrefois. Ne suffit-il pas aujourd’hui de deux jours d’avion pour atteindre Saïgon, et d’à peine plus de trois jours pour parvenir à Sydney, qui se trouve aux antipodes ?

            Ce n’est donc pas sans raison que l’on s’attend à recevoir en 1958 des visiteurs venant de toutes les régions du globe.

            Une connaissance d’un moyen d’expression d’ une portée aussi vaste que possible s’avérerait donc un facteur essentiel de la création d’un certain climat de sympathie parmi une concentration humaine aussi hétérogène que celle prévue dans un petit pays comme le nôtre.

            C’est en effet un double rôle que les Belges auront à remplir : non seulement il leur incombera d’accueillir les hôtes étrangers et surtout de leur laisser une excellente impression, mais il leur appartiendra également d’assumer la tâche délicate d’intermédiaire entre les différentes nationalités.

            Au moment de l’Exposition, il faudra donc recourir à un grand nombre d’interprètes. Il en faudra à l’Exposition, dans les hôtels, les restaurants, les bureaux de tourisme, les banques, les entreprises de transports, les grands magasins, etc. Et il est hors de doute que les interprètes officiels ne pourront suffire aux besoins réels.

            Une foule d’interprètes bénévoles sera donc de la plus grande utilité. Et nous croyons même pouvoir affirmer que ce sont surtout ces derniers qui, par la courtoisie même de leur geste volontaire, contribueront le plus à laisser aux visiteurs étrangers cette impression de sympathie si souhaitable.

 

L’EXPOSITION ET LA COMPREHENSION INTERNATIONNALE.

         Si la Belgique réussissait dans ce domaine, elle servirait puissamment la cause de la compréhension internationale dans le monde, et, partant, celle de la paix. Et cette réussite est d’autant plus nécessaire que la notion d’ « Européen  » semble se dévaluer de plus en plus dans le monde actuel.

            L’histoire nous prouve en effet que les peuples n’ont jamais eu grand avantage à se confiner dans l’expectative d’une attitude simplement passive, abandonnant à leurs gouvernements respectifs le soin d’entreprendre les démarches nécessaires à une saine compréhension internationale, quelles que soient la sincérité et l’intensité du désir de rapprochement de ces derniers. La susceptibilité des peuples est proportionnelle à leur ignorance, et ils sont d’autant plus aisément la proie de toute propagande subversive les uns à l’égard des autres qu’ils se méconnaissent davantage. Les évènements dont nous sommes constamment les témoins nous le prouvent bien. C’est ce qui a fait dire à François Passy qu’ « une nation qui se renferme sur elle-même court au-devant de la misère matérielle et morale  ». Et ces circonstances sont favorables aux déploiements des instincts les plus féroces, ces mêmes instincts qui ont inspiré cette pensée à l’auteur latin Plaute :             «  Homo homini lupus  » (L’homme est un loup pour l’homme).

            Mais pour éviter qu’il en soit ainsi, pour réaliser une entente internationale profonde et durable , il faut que les peuples eux-mêmes, loin de se désintéresser des problèmes de politique internationale, adoptent un comportement actif et s’efforcent de faire entendre leur voix de manière à mettre l’accent, par-delà leurs frontières, sur la valeur humaine de chacun d’entre eux. C’est aux peuples eux-mêmes qu’il appartient, s’ils veulent préserver leur existence, d’abord, et leur bien-être , ensuite, de rappeler aussi fréquemment que possible, par des actes évidents, non pas seulement à leurs gouvernements respectifs, mais surtout aux autres peuples, leur ferme désir de concorde et de compréhension à l’échelon mondial. Il n’est peut-être pas vain de méditer un instant la devise du Kentucky : « United we stand, divided we fall » ( Unis nous tenons, divisés, nous succombons).Et le climat d’entente, une fois établi, doit être entretenu soigneusement par des échanges de vue et des contacts individuels suffisamment nombreux pour qu’aucune place ne soit plus laissée à toute tentative d’opinion pernicieuse. C’est là le prix d’une paix plus sûre que celle que peut garantir n’importe quel traité d’alliance.

            Et quelle occasion meilleure pouvons-nous espérer, nous autres Belges, d’apporter notre modeste contribution à une entente mondiale que nous souhaitons tous, si ce n’est celle de profiter de cette Exposition Universelle pour exprimer de facto notre sympathie aux autres nations et établir, par notre double rôle d’hôte et d’intermédiaire, des liens d’amitié entre les divers peuples dont nous aurons l’opportunité de rencontrer chez nous les représentants officieux en 1958 ? N’est-ce pas une tâche magnifique que celle de confier à chaque étranger rentrant chez lui, avec toute la simplicité et la sincérité que seule l’absence de protocole peut comporter, un message de paix et de fraternité à l’intention de ses compatriotes restés au pays ?.

            C’est pour ces diverses raisons que NOTRE EXPOSITION DE 1958 FAIT NECESSAIREMENT PASSER L’ETUDE DES LANGUES ETRANGERES AU PREMIER PLAN DE L’ACTUALITE, non seulement pour les Belges appelés à jouer un rôle officiel en cette circonstance, mais également, et en ordre non négligeable, pour la masse de la population, si elle veut être en mesure de collaborer utilement à la consolidation d’une paix si difficile à préserver dans notre monde actuel.

            Ne nous étonnons donc pas si les autorités elles-mêmes ont eu à cœur de rappeler cette tâche à tous les Belges capables de ce louable effort.

                       

H.F.   GODEAU

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