Extrait du T.U. n°23 du 1er avril 1951

 P E R W E E K

 EN SOUVENIR DU BON Mr VERLINDEN

                                                                                 1911-1912

               C’est toujours avec une profonde émotion que je pense à notre chère école et, souvent, je me remémore, avec quel plaisir, les séances burlesques auxquelles j’ai assisté pendant les belles années passées à la «  SORBONNE ».

         Je revois encore «  PERWEEK », le nederlandschleeraar… sortant de la bibliothèque, le pardessus jeté négligemment sur les épaules, le chapeau fortement incliné sur la droite, ses rédactions corrigées sous le bras ! ! Il s’amenait nonchalamment , traînant ses godasses … vers la classe, le menton rentré de façon un peu exagérée, sa belle barbe rousse ondulée majestueusement étalée !!

            D’une voix grave … «  Entrez  ».

            Installés sur nos bancs respectifs, Perweek sur l’estrade, tenant les deux mains appuyées sur le pupitre, mordant ses moustaches touffues, les yeux fixés au plafond comme dans une contemplation.

            « Monsieur Lecomte, levez-vous ! »

            Ahurissement général !

            « Monsieur Lecomte, vous êtes un anarchiste ! »

            Hilarité générale !

            Tous mes camarades ébahis et moi-même, nous nous demandions quel attentat, j’avais pu commettre. Ma surprise me figeait dans un garde à vous à peu près impeccable.

            Reprenant la parole sur un ton plus solennel :

            « Messieurs, je vais vous lire la rédaction que m’a remise ce Monsieur. Le sujet était « Notre Roi Albert » et cet élève écrit « Onze Konijn Albrecht Ist ». Qu’en pensez-vous ? Il ne m’est pas possible de décrire les acclamations dont je fus l’objet.

            Mais l’histoire ne s’arrête pas là. A quelque temps de là, notre éminent professeur de musique devait nous faire une conférence (la conférence mensuelle) sur la « transposition des gammes « en ut » en gammes … je ne sais plus quoi », car je n’ai jamais été très fort dans cette branche du programme. Et il était de coutume qu’avant la conférence, quelques élèves déclament l’un ou l’autre morceau de mémoire en français ou en flamand, ou encore, chantent une œuvre de grand renom et d’auteur inconnu, par exemple :

 Auprès du lac filtre une source

        Entre deux pierres dans un coin …. 

Vous connaissez le reste !!!

            Perweek nous prévint qu’il désignerait la victime le jour même de la conférence. Le morceau choisi s’intitulait : »Redevoering van Jacob Van Artevelde ». Vous décrire les transes dans lesquelles un « bilingue distingué » de mon espèce se débattait ne serait guère possible. Je tremblais à la seule pensée qu’un mauvais sort pouvait s’abattre sur ma pauvre personne, et trempé des sueurs de la « MORTE » que je pris place sur mon banc n’osant regarder Perweek, extrayant son agenda de sa profonde. De son ton habituel, son regard toujours fixé vers l’au-delà, il prononça d’une voix basse de noble le verdict suivant :

            « Je désigne pour la récitation de « Redevoering van Jacob Van Artevelde » à la conférence de ce soir M. Lecomte ! »

            Je devais plus tard subir des bombardements, mais cette sentence me fit l’effet d’un projectile de 420. J’en étais épouvanté.

            Je connaissais de ce chef-d’œuvre une demi-douzaine de phrases …. Il y en avait trois pages.

            Des camarades, pour m’aider, eurent l’idée de copier le morceau sur des tableaux cartons qu’on installe devant la première rangée de bancs de la salle d’études.

            Il fut convenu qu’en cas de panne je tirerais ma révérence avec de profondes salutations : ce serait le signal des applaudissements.

            J’ai passé là un fameux quart d’heure ! Les quelques phrases que je possédais furent débitées d’une voix sûre et avec aplomb au grand ahurissement de mon professeur de flamand que j’apercevais là-bas dans le fond. J’attaquai donc le premier tableau, je n’allai pas bien loin, ma vue se troubla et ne voulant pas m’enfoncer … résolument, je saluai dans toutes les directions… c’était le signal…. Les applaudissements crépitèrent de toutes parts ; je profitai du chahut et regagnai ma place non sans apercevoir Perweek riant à gorge déployée.

            A mon grand soulagement, mon professeur eut la générosité de ne jamais faire allusion, par la suite, à ma piteuse défection. Je lui en fus reconnaissant et je gade de lui, de ce brave flamand…, de ce brave homme le souvenir le plus ému.

 

                                                        Le Lieutenant-Colonel A. Lecomte

                                                                       Promotion 1914

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