Extrait tiré du T.U. avril-mai-juin 1959

IMG_0010La formation des maîtres

de l’enseignement secondaire inférieur

Les considérations exposées ci-après ne sont que la synthèse de la modeste expérience que j’ai pu acquérir à l’École Normale Secondaire de l’Etat à Mons. Depuis l’application de la réforme du programme d’histoire pendant toute l’année scolaire 1957-1958, les professeurs ont dû repenser leur cours à la Section langue maternelle-histoire.

Je ne prétends pas exposer ici une méthode de travail exempte de tout reproche mais le résultat d’une expérience que j’ai pu tenter depuis bientôt 2 ans; ces considérations paraîtront dès lors à certains empiriques et limitées à une seule école, mais elles peuvent cependant, dans une certaine mesure, prouver que la formation de nos élèves est fonction d’une conception scientifique actuellement indispensable à celui qui veut devenir un spécialiste.

Les élèves qui se présentent en première année de Section ont tous terminé leurs études moyennes complètes et si cet état de fait n’est pas entièrement vérifié aujourd’hui, il le sera très certainement dans un au grâce à la réforme du programme de l’enseignement normal primaire.

Ces élèves ont tous la même formation que les étudiants de première candidature en philosophie et doivent donc, en principe, avoir la même base que celle exigée par les professeurs d’Université.

S’ils s’inscrivent à l’École Normale Secondaire c’est dans l’espoir de devenir des professeurs de l’enseignement moyen inférieur et partant des spécialistes de la langue française, de l’histoire et de la morale.

Quand on compare l’horaire de la première année de Section littéraire, et M. P. RUELLE en a donné un brillant exposé dans la revue << Education >> de mars 1958, avec celui de la première année de candidature en philologie romane à l’Université de Liège, on s’aperçoit que les élèves de l’Ecole Normale Secondaire sont astreints à 17 heures 1/2 de cours de plus par semaine que les étudiants de l’Université.

Le professeur de l’École Normale Secondaire devra tenir compte de ce facteur – à ce propos il serait nécessaire de repenser le programme d’études – et malgré cet handicap, essayer de donner à ces futurs enseignants une base plus scientifique qu’antérieurement, plus apte à leur donner la possibilité de voir par eux—mêmes une période de l’histoire qu’ils n’auraient pu voir au cours de leurs études.

Comme le dit M. REINHÀRD. « L’expérience et la réflexion ont prouvé que l’étude de l’histoire politique, même approfondie est insuffisante : le sort des communautés est lié aux conditions géographiques, aux données démographiques, à la structure et à la vie économique, à la culture et aux techniques, à tous les caractères enfin qui définissent une société ».

Appelés à donner cours dans les années inférieures de l’enseignement moyen, les futurs régents devront avoir notion de tout le programme d’histoire, connaître les éléments principaux de l’évolution historique. Cette histoire « aux dimensions terrifiantes » devra être proportionnée à l’objet de l’étude et aux possibilités des élèves. Pour pouvoir mener à bien cette tâche, l’élève de section devra lui-même pouvoir différencier l’important du relatif, le principal du secondaire.

Ce n’est pas lorsqu’il sera professeur qu’il sera subitement, sans autre préparation, à même de faire ce tri et de choisir dans l’accumulation des civilisations celles qui offrent un caractère de pérennité par leur originalité ou leur structure. C’est au cours de ses études qu’il devra acquérir ce jugement qui lui permettra d’effectuer ce travail d’exégèse.

Ces réflexions m’ont amené à donner à mes sectionnaires un enseignement capable de leur procurer des connaissances indispensables à leur futur enseignement qui puisse leur permettre de dominer leur matière dans l’exercice de leur profession.

Les premières instructions que nous avions reçues du Département en 1957 et en septembre 1958 tout en restant sur un plan fort imprécis nous donnaient quelques directives. Elles exigeaient une étude approfondie de quelques grands problèmes en attirant l’attention du professeur sur la nécessité de viser à la formation de l’élève et non à son information. Elles ajoutaient que l’enseignement des futurs professeurs d’histoire de l’enseignement secondaire inférieur devait « viser à une formation historique beaucoup plus scientifique que celle de la section littéraire, ancien régime ». Poursuivant le raisonnement, elles précisaient que les élèves ayant déjà eu e: l’occasion au cours des années antérieures d’étudier les différentes périodes de l’évolution de Pour réaliser ce travail le Département proposait une liste de 22 sujets parmi lesquels le professeur pouvait choisir au moins <4 une question relative à chacun des différents aspects « économique, politique, social, artistique, religieux, militaire, diplomatique, technique, etc… »

Parmi ces sujets nous trouvions :

« L’évolution des assemblées populaires, l’évolution des instructions centralisatrices en France ou dans les Pays-Bas; les voies de communications et les moyens de transport, des chaussées romaines aux routes aériennes; les origines, le développement et l’influence du baroque; les conceptions du Droit et de la justice : à Rome, à Babylone… jusqu’au régime hitlérien ».

Il va sans dire qu’à la lecture même de ces quelques exemples, il était impossible au professeur prenant à cœur son travail de formateur, d’étudier 8 sujets au moins d’une manière approfondie, comme le conseillaient les instructions. Le but même de l’enseignement visant à la formation scientifique était ainsi détourné.

Il n’était pas possible d’étudier avec conscience et méthode une série aussi vaste de sujets dans un temps aussi court.

Le professeur dispose, en effet, par an, d’environ 27 semaines de cours de 3 heures par semaine (pour ce qui concerne les institutions). soit 81 heures, desquelles il doit bien souvent déduire des heures prises par des congés éventuels non prévus initialement ou des conférences pédagogiques. Dans un laps de temps aussi restreint, il doit enseigner un nombre de matières si grand qu’il serait tenu de ne consacrer que 2 heures environ à chaque sujet qu’il soit juridique, politique, social, financier ou autre, dans une des 4 périodes de l’histoire.

D’autre part, il est bien certain que les élèves se présentant à la Section, doivent, en principe, avoir des notions de ces différents aspects de l’histoire, notions qu’ils auraient dû acquérir au cours de leurs études antérieures, mais en fait, ils ignorent tout de problèmes aussi complexes que le problème financier, économique, juridique voire même social.

Avant d’aborder un sujet déterminé, le professeur sera donc tenu de donner aux élèves des bases de ces notions multiples en fonction du programme à étudier. C’est ainsi que donnant un cours formatif, il pourra envisager après ses considérations l’étude approfondie d’une période et voir celle-ci sous ses divers aspects. Il pourra, dans l’évolution historique, montrer aux élèves la lente évolution des problèmes capitaux de la civilisation.

Je pense que le professeur ne pourra choisir dans l’exposé de son cours que 4 ou 5 sujets au maximum qu’il étudiera d’une manière scientifique et évolutive.

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Il n’est pas nécessaire dans un cours d’histoire des civilisations de donner une chronologie historique, celle-ci doit être connue, mais il faut attirer l’attention des élèves sur les éléments qui ont constitué l’évolution du fait historique, sur tous les facteurs qui sont intervenus et ont rendu inéluctable le point d’aboutissement exposé par le professeur.

Chaque événement de l’histoire est 1a conséquence d’une succession de causes et d’effets réagissant les uns sur les autres. Or ces causes peuvent être philosophique, sociale ou autres; aussi, l’objet du cours de civilisation consistera à les développer, à les différencier, à en montrer tous les aspects.

Il faudra rechercher toute cause lointaine ou immédiate de l’événement envisagé, faire la distinction entre occasion et cause, faire un travail d’analyse, de critique historique.

Procéder ainsi exige des recherches approfondies et un travail de synthèse qui donneront au cours une valeur scientifique.

Les sujets étudiés devront être peu nombreux mais bien choisis permettant un développement rationnel des divers aspects, politique, économique, social, juridique.

En étudiant 4 à 5 sujets dans leur évolution historique, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours ou même sur une période moins longue. le professeur de la section aura donné à ses élèves les bases d’un travail personnel ultérieur.

Pour illustrer ma pensée je proposerais entr’autres l’étude de l’évolution des classes sociales depuis I ‘Orient classique jusqu’au 1er quart du XXe siècle. Un tel sujet permet au professeur d’étudier tous les aspects d’un problème capital en abordant l’étude de l’économie, de la politique, de la technique, de la religion, etc… D’autres sujets peuvent aussi être envisagés mais ils devront toujours, à mon avis, tenir compte de tous les caractères qui définissent une société.

Le programme d’histoire de la Section prévoit également en 1ere année une heure semaine de critique historique.

Ce cours fera l’objet d’une attention particulière. Il peut être donné d’une manière active par la présentation de textes aux élèves. Jusqu’à présent, le professeur a dû se contenter de textes dactylographiés en français du Moyen-Age ou des Temps Modernes, car la connaissance de la langue latine était insuffisante, mais bientôt, il pourra combler cette lacune.

Il est bien certain qu’il ne faut pas se livrer à l’étude approfondie d’un texte mais plutôt mettre en relief les divers éléments, les formules diplomatiques, les sceaux, les datations, etc…

Après ces observations faites en commun, il sera facile de donner les grandes lignes de la critique externe.

Pour le fond, le même procédé sera employé avec certains textes judicieusement choisis afin de permettre d’ouvrir la voie à la critique interne du document.

Ccs deux parties du cours acquises, il ne restera plus qu’à donner les éléments de la synthèse historique en s’aidant d’exemples.

Pour ma part, j’ai choisi des textes français du Moyen-Age en accord avec le professeur de langue maternelle pour que l’étude de ces deux disciplines puisse se faire parallèlement.

Ce cours comportera en outre un bref aspect des sciences annexes de l’histoire, telles que la paléographie, l’historiographie et peut-être la sigillographie.

Il ne faut pas penser que toutes ces sciences doivent être vues d’une manière approfondie, mais l’élève doit avoir notion des éléments principaux qui les composent. Le professeur doit, en un mot, lui permettre d’entrer en contact avec des connaissances nouvelles dont, sans cela. Il ignorerait tout.

Le travail de Séminaire comporte deux heures semaine dans chacune des années de section, je reviendrai sur ce travail dans l’exposé du séminaire de 2ème année.

 

 

Après avoir donné un aperçu des cours de 1ère année, je vais envisager les cours de seconde.

Le nouveau programme comporte 6 heures d’histoire, dont 3 heures d’institutions, l’heure d’institutions d’histoire de Belgique et 2 heures de travaux de séminaire.

Les 3 heures semaine prévues pour l’étude des problèmes de civilisation seront comprises de la même manière qu’en première année. Le professeur s’efforcera d’étudier 4 à 5 nouveaux sujets plus approfondis ou plus complexes que ceux de première mais aussi étendus dans l’évolution historique et aussi variés d’aspect.

L’heure prévue pour l’étude approfondie de l’histoire de Belgique devra permettre aux élèves de dominer la matière qu’ils auront à enseigner à l’école moyenne ou dans les années inférieures de l’Athénée. Le professeur choisira, à mon sens, plus spécialement l’étude de l’évolution communale, de la formation des centres urbains, de l’évolution économique du Xe au XVIe siècle, ou de la lutte des belges pour la conquête de leurs privilèges ou libertés.

Voyant ainsi tous les aspects d’un fait de l’histoire ignoré à I ‘Athénée ou à l’École Normale primaire, le professeur formera ses élèves à cette compréhension du fait historique, à cette objectivité nécessaire à leur formation d’enseignants.

Les deux heures semaine consacrées aux travaux de séminaire dans les deux années doivent permettre au professeur de donner aux élèves une formation scientifique pratique. Je pense que le but même des études de professeurs du degré moyen inférieur trouve ici sa pleine justification.

Dès la première année, je me suis éventré à mettre mes élèves en contact direct avec la réalité historique.

Prenant un sujet que je pouvais développer pendant deux ans, j’avais choisi l’année dernière « l’opinion publique à Mons dans les journaux, de 1780 à 1850 » et cette année-ci « le régime français dans le Département de Jemappes ».

Le choix du sujet était difficile car il fallait trouver à Mons même des documents pouvant être consultés par tous, sans connaissances particulières soit de paléographie, soit de langue.

La première année, j’ai appris aux élèves le sens de la bibliographie, la manière de procéder pour rechercher des documents, des ouvrages de synthèse ou des monographies. Petit à petit, dans un travail par équipe où l’esprit individuel doit prédominer, les élèves ont constitué une somme de recherches, dont les données étaient classées sur fiches, qui leur donnaient une vue d’ensemble du sujet étudié. Chacun dans son domaine propre, économique, politique, administratif, social, financier, etc., avait ainsi récolté une moisson de connaissances suffisante pour entreprendre modestement d’abord puis avec plus de franchise un travail personnel qui les mettait en Contact avec des documents originaux. Je tenais d’autre part, par devers moi, les fiches bibliographiques des ouvrages consultés par chaque élève, ce qui me permettait de suivre d’une manière constante les progrès des travaux effectués.

Ce rodage accompli, il est nécessaire d’y consacrer la presque totalité de la première année – chaque élève recevra le titre de son travail de fin d’études auquel il devra définitivement se consacrer.

On pouvait bien entendu prévoir en plus de ce travail des travaux de recherches dans d’autres domaines historiques, mais il fallait tenir compte des considérations énoncées plus haut.

considérations d’autant plus valables en seconde année que le temps libre était encore réduit par les prestations indispensables aux bibliothèques et aux archives.

Livré à lui-même, sous la conduite du professeur, l’élève apprend à rechercher le document, à l’examiner, à réfléchir, à observer et faire des rapprochements, à se former l’esprit, à se trouver une méthode de travail d’autant plus valable qu’il sera aidé par ses connaissances acquises en première année, en critique historique.

Chaque séance de séminaire sera alors consacrée au développement oral d’un sujet étudié par l’élève et entrant dans le cadre de ses recherches.

Ce travail sera critiqué par ses camarades et le professeur qui en tirera des enseignements utiles à tous.

C’est ainsi que cette année, les nouveaux professeurs de l’enseignement moyen du degré inférieur auront présenté des travaux de fin d’études tels que : « L’opinion publique à Mons entre les années I853 et 1864, vue à travers l’étude du e Constitutionnel ». – « Présentation de « L’Echo du Hainaut » et étude sur la presse en Belgique de 1815 à 1830 ».

Chaque travail sera divisé en trois parties.

Dans la première partie, le sectionnaire donnera un aperçu synthétique et complet de la période pendant laquelle le journal a paru et étudiera d’une manière plus approfondie un chapitre traité spécialement par cet organe de presse, soit de politique extérieure, soit d’économie, soit de liberté de presse.

Dans la deuxième partie, il fera la critique externe du journal et donnera toutes les indications requises pour un bon travail : dates de parution, nom de l’éditeur, noms des rédacteurs, format, prix, etc…

Dans la troisième partie, l’élève analysera le fond des documents et donnera l’opinion politique du journal. Il devra justifier son jugement en se basant sur la première partie de son travail où il aura développé la période politique.

Au cours de leurs études, les futurs professeurs de l’enseignement moyen du degré inférieur auront ainsi, j’espère, acquis une base historique scientifique, qui tout en leur donnant des possibilités d’études plus approfondies, les délivrera dans l’enseignement de l’esclavage du manuel scolaire. S’adaptant à une tournure d’esprit scientifique, ils auront en même temps acquis le sens social de leurs obligations.

Alfred BRUNEEL.

Professeur d’histoire à l’École Normale Secondaire de l’Etat à Mons.

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